Le pays s’est engagé aveuglément, mercredi, dans une troisième année de vacance présidentielle, sans qu’une sortie de crise ne se dessine à l’horizon. À l’ouverture du Conseil des ministres, hier, le Premier ministre a rappelé ce que cette vacance a de pervers pour le fonctionnement des institutions, tout en se référant aux avertissements que le secrétaire général de l’Onu et l’Union européenne adressent à la classe politique libanaise.
Les ministres réunis ne pouvaient s’empêcher d’entendre, dans le discours de M. Salam, l’écho de la tonitruante interview qu’il avait accordée, la veille à Télé-Liban, dans laquelle il déclarait : « Nous sommes l’État le plus failli en termes de respect de la Constitution. L’histoire retiendra également que nous sommes le gouvernement le plus raté. » Et d’ajouter : « Notre gouvernement est désormais réputé pour sa corruption et ses échecs, et cette réputation le suivra même après sa démission. » M. Salam avait rappelé aussi mercredi que lorsqu’il avait été chargé de prendre la tête de l’exécutif, le mandat du gouvernement ne devait pas s’étendre au-delà de deux mois puisqu’il était chargé d’effectuer les élections parlementaires.
« Je continue à assumer mon devoir et mes responsabilités tout simplement parce que les Libanais ne souhaitent pas que le pays s’enlise encore plus. Mais au final, on en arrive au ras-le-bol », a martelé M. Salam, précisant avoir rédigé sa lettre de démission « plus d’une fois ».
Réagissant aux informations faisant notamment état d’une velléité, chez le Hezbollah de modifier les règles du jeu, par le biais d’un éventuel amendement de la Constitution, M. Salam s’était également prononcé contre tout changement du système libanais, à l’ombre de la situation de vacance.
« La seule chose qui puisse profiter au Liban dans un proche avenir est l’élection d’un chef d’État », avait-il insisté. Et de rappeler que la vacance « porte atteinte à l’esprit du pacte national qui a prévu l’équilibre » dans le partage du pouvoir entre les différentes communautés, avant d’assurer que la Constitution libanaise est « l’une des meilleures au monde », soulignant que ce n’est pas le texte qui pose problème.
La résistance s’affaiblit
Évoquant le rôle et l’avenir du Hezbollah à l’occasion de la commémoration de la libération du Liban de l’occupation israélienne, en 2000, il a rappelé qu’à cette date, « l’ensemble des Libanais avaient ressenti cet exploit comme étant le leur », un souvenir qui doit, a-t-il dit, « rester gravé » dans leur mémoire. Aujourd’hui, a poursuivi le Premier ministre, « la résistance, comme toute autre chose, est en train de s’affaiblir à l’ombre de la décomposition et du morcellement qui prévalent sur le plan interne ». « Le rôle de la résistance suscite de nos jours plusieurs interrogations, d’autant que celle-ci a changé d’objectifs provoquant des différends » au sein de la société.
Interrogé sur les mesures adoptées par le Trésor américain visant le parti chiite, M. Salam a indiqué que le Liban ne renoncera pas à l’application des lois émises par les autorités américaines, minimisant toutefois son impact sur le système bancaire libanais ou encore sur la stabilité monétaire du pays.
Minimalisme politique
Pour en revenir au Conseil des ministres, notons qu’il a soigneusement évité tous les sujets qui peuvent influer directement ou indirectement sur le scrutin municipal qui se tient ce dimanche au Liban-Nord. Ainsi, les sujets du barrage de Janné et celui de la responsabilité du directeur général d’Ogero dans le réseau Internet illégalement exploité, au détriment du Trésor, ont été soigneusement tenus à l’écart des débats. Ainsi d’ailleurs que celui des déchets, où l’on se dirige vers un nouveau scandale, celui de l’enfouissement sans tri de dizaines de tonnes de déchets, au grand scandale des experts et des écolos.
Toutefois, le Conseil des ministres a passé une bonne partie de ses quatre heures de débats à discuter de l’opportunité d’accorder leurs droits aux employés d’Ogero, à la lumière d’un jugement de la Cour d’État leur donnant droit à des augmentations. Toutefois, aussi bien les ministres du PSP et du CPL se sont opposés à l’exécution de cette décision de justice et au déblocage des fonds correspondants, réclamant que le dossier soit lié à celui de l’enquête sur le réseau Internet illégal. De son côté, le ministre Nabil de Freige a eu beau affirmer qu’on ne peut spolier les employés de « leurs droits acquis », M. Salam a finalement ajourné ce dossier, en attendant que tous les ministres prennent connaissance de la décision de la Cour d’État.
Par ailleurs, le Conseil des ministres a été secoué par une polémique entre le ministre des Finances Ali Hassan Khalil et celui de l’Enseignement supérieur, Élias Bou Saab, sur la nomination d’un certain nombre de contractuels et de professeurs assistants à l’Université libanaise. Alarmé par leur nombre (500), le ministre des Finances s’est laissé convaincre qu’il n’y avait pas lieu de l’être, et que les entrants devaient remplacer un nombre égal de professeurs sortants ayant atteint l’âge de la retraite.
Un dernier mot sur la loi électorale. Dans ce domaine, c’est toujours la tour de Babel, avec un débat qui tourne court en commissions conjointes, des choix antinomiques et une contestation stérile de l’antériorité de la présidentielle sur les législatives.