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Pour en finir avec les parasites

Dans l’esprit de beaucoup de chrétiens libanais, le discours adressé cette année par le pape François à la curie romaine, à l’occasion de la fête de Noël, sert désormais de repère et de phare. Dans son discours, en parfaite harmonie avec une action pastorale qui émerveille toute l’Église, le pape, après s’être exprimé sur la joie de célébrer Noël, avait encouragé les membres de la curie à faire un véritable « examen de conscience » pour se préparer à la fête. À cette fin, il avait proposé un « catalogue » de ses principaux maladies et dysfonctionnements.
La curie, le gouvernement de l’Église, « est un corps complexe, composé de beaucoup de dicastères, de conseils, de bureaux, de tribunaux, de commissions et de nombreux éléments qui n’ont pas tous la même tâche, mais qui sont coordonnés pour un fonctionnement efficace, constructeur, discipliné », explique le pape
Cependant, enchaîne-t-il, « comme tout corps, comme tout corps humain, elle est exposée aussi aux maladies, aux dysfonctionnements, à l’infirmité ». Et de mentionner « certaines de ces probables maladies, habituelles », de la curie. Le « catalogue » qu’il en propose comporte quinze entrées :
1. La maladie de se sentir « indispensable » (…) de ceux qui se transforment en patrons et se sentent supérieurs à tous et non au service de tous.

  1. La maladie d’une activité excessive ; ou de ceux qui se noient dans le travail (au point d’oublier repos et prière).
  2. La maladie de « la pétrification » mentale et spirituelle de ceux qui se cachent sous les papiers, devenant « des machines à dossiers » et non plus des « hommes de Dieu » .
  3. La maladie de la planification excessive et du fonctionnarisme.
  4. La maladie de la mauvaise coordination. Quand les membres (…) ne collaborent pas et ne vivent pas l’esprit de communion et d’équipe.
  5. La « maladie d’Alzheimer spirituelle » (…) chez ceux qui ont perdu la mémoire de leur rencontre avec le Seigneur (..) qui dépendent complètement de leur passions, caprices et manies.
  6. La maladie de la rivalité et de la vanité, quand l’apparence, les couleurs des vêtements et les insignes de distinctions honorifiques deviennent l’objectif premier de la vie.
  7. La maladie de la schizophrénie existentielle de ceux qui mènent une double vie, fruit de l’hypocrisie typique du médiocre et du vide spirituel progressif que diplômes et titres académiques ne peuvent combler.
  8. La maladie du bavardage, du murmure et du commérage. (…) C’est la maladie des personnes lâches qui n’ont pas le courage de parler directement ; ils parlent par derrière.
  9. La maladie de diviniser les chefs : c’est la maladie de ceux qui courtisent les supérieurs en espérant obtenir leur bienveillance. Ils sont victimes du carriérisme et de l’opportunisme, ils honorent les personnes et non Dieu (…) Cette maladie pourrait affecter aussi les supérieurs quand ils courtisent certains de leurs collaborateurs pour obtenir leur soumission, leur loyauté et leur dépendance psychologique, mais le résultat final est une véritable complicité.
  10. La maladie de l’indifférence envers les autres. Quand chacun pense seulement à soi-même et perd la sincérité et la chaleur des relations humaines (…) quand, par jalousie ou par ruse, on éprouve de la joie en voyant l’autre tomber au lieu de le relever et de l’encourager.
  11. La maladie du visage funèbre, de la tête d’enterrement, des personnes grincheuses et revêches.
  12. La maladie de l’accumulation des biens matériels, non par nécessité, mais seulement pour se sentir en sécurité.
  13. La maladie des cercles fermés où l’appartenance au groupe devient plus forte que celle au corps et, dans certaines situations, au Christ lui-même.
  14. La maladie du profit mondain, des exhibitionnismes, quand l’apôtre transforme son service en pouvoir et son pouvoir en marchandise pour obtenir des profits mondains ou plus de pouvoirs. On peut obtenir le discours intégral du pape à la curie prononcé le 22 décembre sur le site du Vatican (taper Vatican et chercher dans « discours » ).

 

Les Églises orientales
La lecture de ce catalogue fut à la fois édifiante et renversante pour des millions de chrétiens suspendus aux paroles du pape. Et pour nous Libanais, il ne fut que trop facile d’identifier ces « maladies » au sein de nos Églises orientales en raison de leur structure cléricale prononcée. Et de soupirer après un « François » qui viendrait y mettre de l’ordre, oubliant que si ces « maladies » affectent surtout un corps constitué, un ordre religieux, une commission ou une assemblée, leurs symptômes peuvent très bien se manifester aussi dans la vie de tout fidèle.
Pour diverses raisons, notamment politiques, le patriarche maronite en personne est en ce moment la cible de nombreuses attaques, franches ou insidieuses. Il est critiqué aussi bien pour son style que pour ses orientations, aussi bien sur la forme que sur le fond, sachant que le siège patriarcal de Bkerké n’est pas une instance purement religieuse en Orient, mais aussi une instance nationale, et que le côté public de sa figure l’expose aux critiques.
Prenant le train en marche et impatients de voir enclencher un « examen de conscience » similaire au Liban, des voix – souvent maronites – commencent à s’élever pour le réclamer. Mais comme il est facile d’identifier les symptômes de ces diverses maladies chez telle ou telle figure religieuse, il est tout aussi facile de voir comment l’une d’entre elles en particulier, « la maladie du bavardage, du murmure et du commérage », est largement répandue non seulement parmi les clercs, mais partout au sein de l’Église maronite (à laquelle j’appartiens).
On peut concevoir que, scandalisés par l’une ou l’autre des affaires soulevées en public, ou dont ils ont connaissance, des intellectuels, des esprits qui se considèrent libres s’en indignent et réclament le changement. Des tribunes viennent d’être publiées dans la presse en ce sens. Elles suivent des révélations douteuses – et surtout malintentionnées –, publiées ailleurs, sur le népotisme qui corrompt certains cercles religieux, et les privilèges fonciers dont aurait bénéficié l’un des proches collaborateurs du patriarche. Mais de là à faire le jeu de ceux qui, de mauvaise foi, cherchent à affaiblir l’Église maronite pour des raisons politiques ou mêmes sectaires, il y a beaucoup. Ce pas ne devrait pas être franchi. Une chose est d’agir de façon constructive, une autre de chercher à affaiblir et à détruire un homme ou même une Église. Ces démarches ne sont pas du même ordre. Un « esprit » différent les habite.
La « mauvaise langue » qui se cache derrière certaines initiatives a détruit plus d’une grande famille, voire plus d’un village libanais, transformé en arbre mort, piqués par les vers du « commérage », de la mesquinerie, de la jalousie et de la « troisièmes langue ».
« J’ai déjà parlé de cette maladie de nombreuses fois, mais jamais assez, souligne le pape François. C’est une maladie grave, qui commence simplement, peut-être seulement par un peu de bavardage, et s’empare de la personne en la transformant en ”semeuse de zizanie” (comme Satan), et dans beaucoup de cas, en ”homicide de sang-froid” de la réputation des collègues et des confrères. »
L’initiative de François est salutaire. Pour réformer la curie, qui a failli venir à bout de Benoît XVI, le pape argentin s’est entouré d’une commission de huit cardinaux. C’est un bon exemple à suivre pour en finir avec les parasites qui, en Orient, sucent le suc de « l’arbre de vie » qu’est et sera toujours l’Église, et faire entrer par ses fenêtres ouvertes le vent frais de l’Esprit.