Un mea culpa est toujours difficile. Même à deux, même dans une intimité totale. Alors un pardon public – qui plus est, en une du plus vieux journal du Liban… Mais peu importe : parfois, la conscience, individuelle ou professionnelle, balaie toute velléité de fierté. Il n’y a que les sots qui ne changent pas d’avis : effectivement, cela fait plus de 27 ans que je suis anti-Aoun, primaire, selon ses partisans, plus de 15 ans que dans ces colonnes, les critiques se suivent sans se ressembler, certes, mais sans jamais la moindre lueur de blanc, sans que jamais ne soit relevée la moindre initiative, prise de position ou mesure plus ou moins positive que le chef du Courant patriotique libre aurait pu adopter.
En réalité, tout est question de timing – et mieux vaut tard que jamais : c’est cet été 2015 que mes yeux ont commencé à s’ouvrir. Un peu. Il était temps, face à tant de haine(s), d’excès et de dégénérescence.
Merci d’abord, cher Michel Aoun, de m’avoir aidé à surmonter ma méfiance, presque systémique, de l’uniforme. Non que je sois un pacifiste chevelu, un proto-hippie qui déteste l’institution militaire : bien au contraire, je la trouve indispensable, et j’estime que l’immense majorité des soldats, notamment libanais, est d’une noblesse infinie ; mais, voyez-vous, je suis terrassé par la capacité qu’a cet uniforme de corrompre un cerveau, d’autoriser tellement d’abus, d’installer, à vie, à ceux qui le portent des œillères bétonnées et blindées, d’être un terreau magique pour des tyrannies en tous genres. Merci donc de m’avoir aidé à changer d’avis : je trouve désormais que Jean Kahwagi, malgré tous ses défauts, est un homme bien, très bien même, et ce concept de prorogation de mandat, qui jusqu’à hier me hérissait le poil, passe bien mieux. Surtout avec une coupe de champagne et un cigare.
Merci ensuite, cher Michel Aoun, de m’avoir rappelé combien beaucoup de Libanais et moi-même sous-estimions, sans le vouloir nécessairement, Tammam Salam. Combien, parce que cet homme n’a jamais été show off et bling bling, qu’il n’a jamais voulu porter de abaya, orange, bleue, jaune et noir, kaki, rouge, verte ou pistache soit-elle, qu’il ne s’est jamais comporté en zaïm, mais en commis de l’État, combien cet homme, donc, est cultivé, et humaniste, et modéré, et républicain, et démocrate, et éclairé, et fort, parachuté qu’il a été au Sérail à l’un des pires moments de l’histoire de ce pays et qui réussit encore à éviter que le navire Liban ne coule.
Merci aussi, cher Michel Aoun, de m’avoir à chaque fois obligé à respecter les ayatollahs de Téhéran et le directoire du Hezbollah, résistance islamique libanaise (sic). Parce que, même si je me battais jusqu’au bout pour les empêcher de contaminer le Liban avec leur idéologie et leur philosophie politique aussi haïssables que mortifères, au moins ils en ont une, eux, d’idéologie, et de philosophie politique.
Merci tout autant, cher Michel Aoun, d’avoir grandement contribué à m’apprendre l’humilité. Je demande donc à Ali Chami, Fawzi Salloukh, Mahmoud Hammoud et Adnane Mansour, mais aussi Farès Bouez et Jean Obeid, dont j’ai systématiquement critiqué l’action en tant que ministres des Affaires étrangères, de m’excuser. Comparés à leur dernier successeur en date au palais Bustros, ce sont des Talleyrand. Des hommes d’État.
Merci enfin, cher Michel Aoun, du coup, de m’avoir éclairé, via, surtout, votre sémillant Nicolas Sehnaoui, sur la véritable nature de certains ministres actuels qui portent des cravates. Merci de m’avoir fait comprendre que des Achraf Rifi, des Michel Pharaon, des Rachid Derbas, des Samir Mokbel, des Nabil de Freige, des Nouhad Machnouk, entre autres, sont en réalité d’immondes agents stipendiés de Daech, qu’ils consacrent l’essentiel de leur temps à faire passer des documents à Abou Bakr el-Baghdadi. Par le biais, bien sûr, de sa sœur, sous déguisement : Alice Chaptini. Bien sûr. Je ne leur adresserai désormais plus la parole.
Continuez ainsi, cher Michel Aoun : je suis à deux doigts de demander mon adhésion au CPL – que vous me refuserez, naturellement. Mais qui ne tente rien n’a rien.
Bien à vous…