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Présidentielle : la Syrie s’invite dans la danse

Sandra NOUJEIM 

 

Les images de la commémoration du 13 octobre 1990 par une petite foule monochrome convaincue de s’être appropriée la route du palais présidentiel témoignent de l’état de perdition qui semble être celui du pays. La pudeur due au passé de la guerre est tombée. Le traumatisme du fatidique 13 octobre, charrié jusqu’à ce jour par des mémoires plurielles interdites d’exprimer formellement leur vécu, faute d’un chantier de mémoire national, a été repoussé et étouffé par les espoirs d’une élection prochaine du général Michel Aoun à la présidentielle. L’expectative d’une élection de leur leader à la présidentielle a fait dire à des cadres du Courant patriotique libre (CPL) que cette journée sera désormais commémorée dans la joie. La mémoire des victimes, comme l’histoire, est usurpée et remaniée en fonction des circonstances politiques.
Et la joie imposée hier à cette journée s’est exprimée dans un slogan fédérateur axé sur « le pacte national, sans lequel le Liban n’est pas ». Ainsi, la polémique autour du pacte national, dénaturé tantôt par le président de la Chambre, tantôt par le CPL lui-même, aura été occultée sans explication.
 
C’est dire l’aisance avec laquelle un politique au Liban peut attiser les violences latentes pour aussitôt les résorber. C’est dire aussi l’artifice et la précarité d’un éventuel accord autour de la candidature de Michel Aoun : quelles que soient les garanties qu’il pourrait concéder aux parties les plus récalcitrantes à l’élire, comme le président de la Chambre, Nabih Berry, ces concessions de circonstances, alourdies par des inimitiés de longue date, mettent en cause d’entrée la stabilité du mandat éventuel. C’est un entretien pour le moins « animé » qui a eu lieu vendredi à Paris entre Saad Hariri et le ministre Ali Hassan Khalil (rentré hier), ce dernier ayant réitéré le refus de Nabih Berry d’élire Michel Aoun, selon des sources du 14 Mars. Des milieux du courant du Futur se disent toutefois confiants que M. Berry reviendra in fine sur son refus et assurent en outre que le Hezbollah est « disposé à élire M. Aoun ».

Mais le risque d’instabilité qui suivrait cette élection pèserait surtout sur les rapports du chef du courant du Futur, Saad Hariri, avec le camp du 8 Mars. Même si l’ancien Premier ministre serait confiant, selon des milieux du Futur, que l’élection du candidat du Hezbollah suffirait en soi à initier de facto la relance institutionnelle, sans besoin de « garanties » préalables à cette fin, l’après-présidentielle reste cependant floue. Il n’est pas sûr que la formation d’un cabinet présidé par Saad Hariri ne soit pas bloquée après la nomination de l’ancien Premier ministre ni que des concessions supplémentaires ne lui soient arrachées lorsqu’il s’agira de rédiger la déclaration ministérielle et de consacrer par exemple le triptyque armée-peuple-résistance (ravivé d’ailleurs par le Hezbollah dans la foulée de la guerre syrienne). Ceux qui, au sein du Futur, mènent une résistance interne à l’option Aoun seraient d’ailleurs convaincus que son mandat consacrerait l’hégémonie iranienne dans le pays et neutraliserait Saad Hariri jusqu’à le ruiner politiquement. « Ce serait la fin », disent ces milieux, rappelant que leur leader risque de perdre irrévocablement sa base populair et peut-être aussi les législatives, en cas d’élection de Michel Aoun. Selon eux, l’avènement de M. Aoun à la présidence serait rien moins que la chute d’une nouvelle capitale arabe dans le giron iranien, après Bagdad, Damas et Sanaa.
La position attribuée depuis deux jours au régime syrien sur la présidentielle prouverait que l’étau se resserre autour de Saad Hariri : Damas serait favorable à l’élection de Michel Aoun, mais refuserait la désignation du leader du courant du Futur à la présidence du Conseil, ont rapporté des porte-voix du régime de Damas au Liban. L’ancien ministre Wi’am Wahhab a ainsi déclaré dans un tweet samedi que « le triptyque armée-peuple-résistance constitue la clause la plus importante de la déclaration ministérielle. Ceux qui n’y adhèrent pas ne peuvent se considérer comme candidats naturels à la présidence du Conseil. Et ceux qui ne respectent pas le sang des martyrs tombés en Syrie pour défendre le Liban du danger terroriste n’accèderont à aucune position au Liban ».

Un tweet relayé hier depuis Damas par un autre du journaliste proche du 8 Mars, Salem Zahran : « Si Saad Hariri est désigné à la présidence du Conseil, il ne formera pas son cabinet (…). » Un message qui aurait par ailleurs été transmis vendredi à Michel Aoun par des émissaires du président syrien. Le député Alain Aoun a néanmoins dit hier, en marge de la manifestation, que « la présidentielle n’a été discutée avec aucune partie étrangère ».

Cela n’aurait toutefois pas suffi à freiner les pourparlers en cours autour de l’élection du général Michel Aoun. Jusqu’à hier, Saad Hariri semblait près d’annoncer dans les prochains jours son appui officiel à la candidature du leader chrétien, en faisant fi des mises en garde attribuées au régime syrien. Le député des Forces libanaises, Georges Adwan, les a ainsi associées à des « tentatives de faire intervenir le régime syrien sur ce dossier, mais qui sont vouées à l’échec (…). Ceux qui veulent entraver l’élection de Michel Aoun à la présidence ont le droit de le faire. Ils n’ont toutefois pas le droit de tenter d’y entraîner le régime syrien. »

Sachant que le Hezbollah – selon des sources du 14 Mars hostiles à M. Aoun – appuierait l’élection de ce dernier, ces « rumeurs syriennes » ne pourraient s’expliquer, selon une certaine grille de lecture, que par une divergence entre les intérêts de Damas et de Téhéran sur le terrain libanais.

Alors que circulaient ces « rumeurs », Saad Hariri se trouvait toujours à Paris, en attendant de se rendre à Riyad. Ce n’est qu’hier en soirée qu’il a pris l’avion pour l’Arabie. Son élan en faveur de Michel Aoun y aurait été amorti, selon une source du bloc parlementaire du Futur.

Un tweet énigmatique du député Walid Joumblatt en soirée a rajouté, en soirée, du suspense à la situation. « Le mot d’ordre est venu, que Dieu nous préserve du pire », a posté M. Joumblatt, laconique, avec plusieurs émoticons et un graphique cryptique. La formule, plutôt sinistre, a été interprétée dans les milieux politiques comme se rapportant à un développement négatif lié à la présidentielle. Mais il n’est pas sûr, toutefois, auxquels des obstacles à l’élection de M. Aoun le leader du Rassemblement démocratique se référait.