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Prix cassés

L’éditorial

 

Comment naît un mythe politique ? Un cran au-dessus, comment s’en fabrique-t-on un soi-même? Il n’est pas rare de voir des faits historiques déformés tantôt par l’imagination populaire ; et tantôt par l’invention, voire le véritable travail de falsification qui permet à certains de forcer, haut la main, les portes de la légende.
Shimon Peres, dernier des pères fondateurs de l’État d’Israël, inhumé hier en présence d’une foule de grands de ce monde, aura été un de ces talentueux ravisseurs de mythes. À cet apparatchik travailliste, protégé de David Ben Gourion, l’État hébreu doit une part substantielle de sa puissance militaire et nucléaire.
Ministre, il a cautionné le coup d’envoi de la colonisation en Cisjordanie, de même que la brutale répression des intifadas palestiniennes et les blocus inhumains infligés à la bande de Gaza. Premier ministre, et à des fins bassement électorales, il a fait étalage de muscles avec le barbare bombardement du village sud-libanais de Cana, qui a fauché plus d’une centaine de civils (dont une moitié de femmes et d’enfants) réfugiés dans un hangar de l’Onu.
Il est bien, avec Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, un des artisans de cet accord incontestablement historique d’Oslo, qui leur valut, tous les trois, le prix Nobel de la paix. Mais il n’a pas manqué de s’associer, par la suite, à tous les faits accomplis israéliens, à toutes les dérobades face aux échéances, qui ont vidé cet accord de toute substance. Si bien qu’en définitive, Shimon Peres aura été un homme de discours de paix, mais sans les actes, comme le décrit fort justement l’ancienne ambassadrice palestinienne Leila Shahid.
Puisqu’il est question de discours, et comme le veut l’hommage dû aux célébrités défuntes, ce sont encore des flots de péroraisons biaisées qui ont ponctué sa mise en terre : une manière convenue – et même confortable – pour les orateurs de faire l’impasse sur les points noirs que peut receler tout parcours public.
Mensonger jusqu’au ridicule est ainsi ce je t’admirais, je t’aimais, qu’a lancé à l’adresse du disparu ce même Benjamin Netanyahu qui accusait naguère le tandem Rabin-Peres de haute trahison. Encore plus ridicule est l’outrance proférée par Barack Obama, qui a trouvé moyen de hisser Peres au rang des géants du calibre de Nelson Mandela.
Le chef de la Maison-Blanche, faut-il le rappeler, est lui aussi détenteur d’un prix Nobel de la paix. Tout aussi immérité. Ou pour le moins prématurément décerné, après seulement neuf mois d’exercice du pouvoir et sur base, là aussi, de simples promesses, engagements et autres déclarations d’intention. Mais en réalité, devait révéler bien plus tard le directeur du comité Nobel, c’était surtout pour encourager le maître de la première puissance mondiale à aller de l’avant.
Relevant la présence aux obsèques du Palestinien Mahmoud Abbas, dénoncée par nombre de ses compatriotes, le président US s’est borné à constater que le chantier de la paix reste inachevé. La même perspicacité devrait l’inciter à constater qu’en fait de chantier, c’est à de la démolition pure qu’est aujourd’hui vouée la Syrie, et plus particulièrement la cité d’Alep, par la furia meurtrière de l’Ours russe et les coupables inhibitions de l’Oncle Sam.
Par action ou par omission, le crime est là. Pour la paix, on repassera.