Alors que se poursuit la valse des propositions et contre-propositions électorales, les espoirs de parvenir à une issue s’amenuisent aux yeux des experts, mais non chez les chefs de file politiques qui persistent à générer jour après jour des suggestions à géométrie variable. Pour reprendre la boutade lancée hier par l’un de nos lecteurs, « il y aura bientôt autant de propositions de loi que de députés ».
Le dernier projet en date proposé par le PSP et fondé sur le modèle mixte a buté, comme on pouvait s’y attendre, sur le refus du Hezbollah qui maintient sa position en faveur de la proportionnelle et rien d’autre.
Le parti chiite, que le nouveau projet ne semble pourtant pas léser outre mesure (il ne perdrait pas nécessairement des sièges mais n’en gagnerait pas non plus comme il l’escompte), ne voudrait pas non plus embarrasser son allié chrétien, le CPL, qui venait juste de faire campagne pour un projet concurrent concocté par son chef, Gebran Bassil (les deux tours avec qualification à la majoritaire au premier). Une situation qui prouve bien que les protagonistes sont désormais pris à leur propre jeu, devenant ainsi les otages de leurs positions de principe et de leurs alliances respectives.
Le chef du PSP ne s’est pas privé hier de lancer une pointe, sans le nommer, au Hezbollah, plus particulièrement au chef de son bloc parlementaire, Mohammad Raad, pour ses propos de la veille : « Si le projet du PSP est une perte de temps, le projet prévoyant une préqualification (sur une base confessionnelle) porte un coup à l’unité nationale », a dit Walid Joumblatt dans un tweet. D’une pierre, deux coups, puisque le leader druze s’est également attaqué à Gebran Bassil.
Une percée importante a pourtant été enregistrée hier : les FL, qui officiellement continuent de faire preuve de retenue à l’égard de la mouture du PSP, ont cependant salué à travers cette proposition le principe du mode de scrutin mixte qui était et reste leur formule de prédilection.
Selon un responsable du parti, le projet du PSP « vient attester ce dont nous étions toujours convaincus, à savoir que le système hybride reste sans aucun doute celui qui assure le mieux une représentation équilibrée ». Il reste que dans les détails, les FL souhaitent que des amendements soient apportés à ce texte pour le rendre plus proche de leur ambition, celle d’atteindre le plus possible la parité en matière de représentation chrétienne effective.
À ce propos, un expert électoral qui a requis l’anonymat explique que le projet du PSP ne défavorise pas énormément le camp chrétien. « Avec le projet Bassil, le tandem CPL-FL pouvait espérer hausser le niveau de l’influence chrétienne à hauteur de 47,5 % des sièges. Avec le projet joumblattiste, cette proportion serait de 43 %, ce qui n’est pas très loin », selon l’expert.
Il reste que le projet du PSP, annoncé comme étant respectueux de l’unité des critères, comporte des « failles » que le Hezbollah a été le premier à relever. Prévoyant une répartition égalitaire des sièges élus respectivement à la majoritaire (appliquée aux 26 circonscriptions actuelles) et à la proportionnelle (11 circonscriptions), le texte ne précise cependant pas quels seront les critères adoptés pour fixer les sièges à élire au scrutin majoritaire et les autres à la proportionnelle.
« Le problème se pose particulièrement lorsque le nombre de députés qui se présentent dans une circonscription est impair. La solution est de favoriser plutôt le système majoritaire ou la proportionnelle au cas par cas, de sorte à parvenir au final à une égalité entre les deux modes », commente le responsable FL.
Entre-temps, maintenu confidentiel dans ses détails, le projet suggéré le lendemain par le président de la Chambre, Nabih Berry (la proportionnelle intégrale appliquée à six circonscriptions ou à dix), « ne sera probablement révélé qu’en dernière minute, dans une mise en scène de sauvetage in extremis à laquelle nous a habitués le leader chiite », estime pour sa part l’expert.
Autre variable à prendre en compte dans ce ballet de marchandages, celle du « package deal » électoral qui sous-tendrait l’adoption concomitante du projet d’un Sénat, auquel cas les chrétiens seraient disposés à revoir à la baisse leurs doléances pour ce qui est des élections à la Chambre des députés, comme le souligne une source proche des FL.
Retour à la case départ ? Non, assure la source, puisque tous les projets soumis à ce jour restent de mise. Moins optimiste, Saïd Sanadiki, conseiller auprès de l’Union européenne pour le programme d’appui aux élections, affirme à L’OLJ : « Le jeu de ping-pong électoral se poursuit pour aboutir en définitive à un match nul. » À l’instar de nombreux experts, ce dernier prévoit la poursuite de la politique de tergiversation jusqu’à la date fatidique du 15 mai prochain, qui mettra la classe politique devant le fait accompli. « Celle-ci n’aura d’autre choix que de se rabattre sur la loi de 1960 qui sera justifiée par une unanimité des protagonistes autour du refus de la prorogation et une décision d’effectuer illico les élections, histoire de maquiller leur échec en optant pour le moindre mal », dit-il. « Il n’y aura pas de prorogation », a encore juré hier, devant les membres de l’ordre des avocats, le chef de l’État, Michel Aoun, pour qui le délai avant la tenue des élections peut s’étendre jusqu’au 20 juin inclus.