Les rumeurs sur l’imminence de la bataille du Qalamoun en Syrie sont loin d’être rassurantes pour les habitants du Qaa et de Ras Baalbeck. Ces deux localités chrétiennes de la Békaa-Nord, frontalières avec la Syrie, voient l’avenir avec appréhension. Mais elles refusent de céder à la peur et s’accrochent, réconfortées par la présence en force de l’armée… et, pour certains habitants, par celle du Hezbollah, tout près d’ici.
La journée vient de démarrer dans le village du Qaa. Les enfants sont à l’école, les adultes vaquent à leurs occupations professionnelles. Quelques voitures empruntent la rue principale. Mais on est loin de l’animation attendue en ce mois de mai. Assis dehors ou dans leurs boutiques, des commerçants attendent le client en sirotant un café. Les discussions vont bon train. L’accueil est convivial, l’ambiance bon enfant. « La bataille du Qalamoun ? Nous les attendons de pied ferme (les islamistes de Daech ou d’al-Nosra). Nous avons l’habitude », lance en riant Amal, propriétaire d’un magasin de vêtements pour enfants. « La situation économique est bien plus inquiétante », ajoute-t-elle.
Ici, chaque famille a un fils ou un frère dans la troupe. Alors on assure que « la région est la plus sûre du Liban, qu’on y mène une vie normale et qu’on ne la quittera jamais. En week-end, il y a tellement de monde qu’on peut à peine circuler en voiture dans le village », souligne un militaire qui se mêle à la discussion et décrit les églises pleines à craquer, à Pâques. Il regrette toutefois que « les médias répandent la peur ». « On vient de m’appeler de Beyrouth pour me faire part d’une rumeur infondée », renchérit une proche, comme pour confirmer les propos du jeune homme.
Quelques boutiques plus loin, un couple d’épiciers tient un tout autre discours. « C’est une guerre psychologique. Nous sommes sur nos nerfs. Nous ne savons pas ce qui nous attend », avoue la femme, mère de famille. Elle se dit certes rassurée par la présence de l’armée, mais elle est prête à plier bagage si les obus se mettent à pleuvoir, comme l’ont déjà fait certains, à la fin de l’été 2014. « Les enfants ont peur des bombes », précise-t-elle. Preuve en est, le calme plat qui règne en ce début de saison. « De quelle saison parlez- vous ? Regardez, voyez-vous du monde ? Les Beyrouthins sont pourtant censés venir », lance Georges, son époux, montrant la rue vide. Comme nombre de localités éloignées, Qaa compte sur ses émigrés beyrouthins, qui s’approvisionnent au village pour la semaine.
Les habitants reprennent confiance
« La peur des habitants est compréhensible », explique le curé de la paroisse, le père Élian Nasrallah. « Elle est liée aux attaques et enlèvements perpétrés par les islamistes, et aux victimes dans les rangs de l’armée et des forces de l’ordre. Mais la tension est retombée depuis que la troupe a renforcé sa présence et ses positions, assure-t-il. L’armée a repoussé les islamistes au-delà de la colline qui surplombe le Qaa, baptisée colline Notre-Dame de la Croix. Ils ne sont plus au-dessus de nos têtes, ce qui a redonné confiance aux habitants. » Du haut de l’église Notre-Dame de la Colline, le père Nasrallah insiste : « L’armée ne se contente pas de jouer le rôle défensif qu’elle jouait au départ. Pour récupérer ces collines, elle a lancé l’offensive. »
Certes, la police municipale, soutenue par les grands partis de la localité (CPL, FL, PSNS et Baas), continue de garder un œil vigilant. « En l’absence d’un président de municipalité, nous avons mis nos zizanies de côté et sommes au service de notre village, car Daech et al-Nosra ne feront pas la différence entre nous », assure l’enseignant Tony Matar.
Au fil des discussions, « la coopération entre l’armée libanaise et le Hezbollah » apparaît comme une évidence, même si aucun détail concret ne filtre sur la nature de cette collaboration. De notoriété publique, elle rassure les habitants. S’estimant « oubliés de l’État, ils craignent toujours d’éventuelles infiltrations et réclament davantage de forces de l’ordre », comme l’indique Élias Taoum, représentant du PSNS. Ils espèrent ainsi encourager leurs proches à venir passer les week-ends durant la belle saison, et pourquoi pas l’été.
Restaurants complets
C’est le même état d’esprit qui règne à Ras Baalbeck, localité de 2 500 habitants, l’hiver. Comme à Qaa, l’attachement à la terre est plus fort que la peur. Mais la bataille du Qalamoun est envisagée avec appréhension. Les premiers revers subis par la troupe sont toujours en mémoire. « Nous craignons fort que cette bataille ne pousse les islamistes vers les hauteurs de Ersal, et donc au-dessus de nos têtes », avoue le président de la municipalité, Hicham el-Arja. Il craint aussi que « l’armée libanaise ne paie trop cher le prix de cette bataille ». « Elle est aujourd’hui massivement déployée sur les collines du village, assure-t-il. Nous n’avons pas de miliciens armés, mais quelques jeunes gens qui veillent, et nous comptons à 100 % sur l’armée libanaise. » Et d’ajouter : « Le Hezbollah n’a rien à voir à Ras Baalbeck. »
Alors, malgré l’attente et l’incertitude, les habitants gardent le moral. « Depuis que la troupe a récupéré les collines au-dessus du Qaa et de Ras Baalbeck, les habitants ont repris confiance et affirment leur détermination à rester au village, note Naji Nasrallah, enseignant et agriculteur. À titre d’exemple, les restaurants affichent déjà complet pour les cérémonies de mariage jusqu’à la fin de l’été. » « Une confiance qui a été renforcée par l’élan de solidarité des villages voisins et des émigrés beyrouthins de Ras Baalbeck », comme il l’explique.
« On a vu pire », lance Issam, qui tient un magasin de téléphones cellulaires, assurant que « personne n’envisage de quitter le village », et qu’aux occasions, « il ne désemplit pas de visiteurs et de Beyrouthins ». Où iraient-ils d’ailleurs, lui et sa famille ?
Qaa et Ras Baalbeck ne baisseront pas les bras, à coup sûr. Malgré la peur du lendemain et la menace d’une guerre, de nouvelles constructions poussent, ici ou là, synonyme d’espoir et d’attachement viscéral à la terre.