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Quatre jihadismes, une métastase

L’édito

Des adolescent(e)s, publicités vivantes de cet inoxydable I Love Life, de cette culture de vie qui triomphera à chaque fois de toutes les logiques de mort, et dont le seul crime était d’idolâtrer une pseudochanteuse pop et de tenir à aller l’applaudir en concert. Des coptes d’Égypte, épuisés par les promesses creuses d’un maréchal-président qui n’a pas encore compris que le travail sur les mentalités est tout aussi urgent que l’improvisation de mesures sécuritaires, et dont le seul crime était de tenir à leur foi et de la revendiquer haut et fort. Ces deux derniers épisodes de l’Armageddon promis par l’État islamique sont venus s’ajouter à la liste interminable des assassinats et crimes en tout genre (contre l’humanité, politiques, économiques, culturels, sociétaux, moraux…) commis par l’intégrisme sunnite. Qui ne connaît plus de limites. Qui ne connaît plus de frontières, de l’Afrique à l’Asie du Sud-Est, notamment dans la région de Mindanao, en Indonésie, en passant par l’Europe, sa terre de mission, et, bien sûr, par le Proche-Orient.

Aussi combattu que soit son principal représentant, l’État islamique donc, qui a concédé de très sérieuses défaites en Syrie et en Irak notamment, cet intégrisme sunnite, peu ou prou aidé par les pétromonarchies à un moment ou un autre de l’histoire, a encore de (très) beaux jours devant lui. Pas seulement parce que les ressources humaines, les apprentis-martyrs, sont nombreux, presque illimités. Pas seulement parce que la réponse de la communauté internationale reste singulièrement bancale, asynchrone et chaotique. Mais parce que, surtout, cet intégrisme sunnite se nourrit, gloutonnement, de ses frères siamois. De trois autres intégrismes qui n’ont rien à lui envier, que ce soit dans ce IIIe millénaire de tous les obscurantismes et de toutes les illuminations, ou que ce soit le long de l’histoire, vieille d’au moins 2017 ans.

L’intégrisme chiite, plus discret, moins assumé, n’a peut-être pas encore fait son coming out, mais il n’en reste pas moins tout aussi redoutable. Et pernicieux. Parce que véritable fondamentalisme d’État, orchestré patiemment, minutieusement et méthodologiquement par les ayatollahs de Téhéran, cimentés par, pour et autour de la wilayet el-faqih. Cet intégrisme chiite, contre lequel avait mis en garde publiquement, dans une interview au Washington Post en 2004, le jeune (à l’époque) roi de Jordanie Abdallah II, s’appuie, d’une manière savamment tentaculaire, dans un grand nombre de pays, sur des bras armés-sbires dont les plus célèbres restent le Hezbollah libanais. Pas uniquement armé dans ce cas, mais éminemment politique. Donc bien plus dangereux encore…

Tout aussi dangereux a été, est, et restera, l’intégrisme juif, ou le sionisme, centuplé depuis la quasi-annexion du poste de Premier ministre d’Israël par un homme férocement incapable de contribuer à la moindre ébauche de paix : Benjamin Netanyahu. Et demeurera à jamais ce constat de l’excellent Shlomo Sand : En tant que citoyen israélien, je trouve absurde que quelqu’un qui était sur une terre il y a deux mille ans puisse prétendre avoir des droits historiques sur cette même terre. Ou alors il faudrait faire sortir tous les Blancs des États-Unis, faire rentrer les Arabes en Espagne. Non, il n’y a pas de droit historique des Juifs sur la terre de Palestine, qu’ils soient de Jérusalem ou d’ailleurs.

Le quatrième intégrisme, naturellement, est le chrétien. Toutes proportions gardées, il y a aujourd’hui, un peu partout dans le monde, comme des relents, du moins de fortes envies, de néo-croisades. Qui prennent souvent comme très fallacieux prétexte cet abominable fantasme de chrétiens d’Orient, basant leur démonstration crétine sur ce que ces intégristes chrétiens considèrent comme un sacro-saint axiome : l’alliance, pourtant mortifère, des minorités. Ce nouveau fascisme, policé, dédiabolisé, vulgaire et vulgarisé, blond en Europe (de Marine Le Pen à Vladimir Poutine en passant par Geert Wilders), orange aux États-Unis (le trumpisme dans toute sa crudité) ou noiraud chez les Arabes chrétiens, est tout aussi délétère que les trois autres.

Aussi minoritaires qu’ils restent, fort heureusement (mais jusqu’à quand…), au sein de ces trois religions monothéistes qui ne finiront jamais de (dé)faire le monde, ces quatre courants, ces quatre véritables jihadismes, ne sont rien d’autre que les quatre faces, quasi siamoises encore une fois, d’une même métastase, assez immémoriale certes : le fondamentalisme. Cancer primitif au cœur de notre passé, arme de destruction massive de notre présent, il est l’enjeu de l’avenir de l’humanité, tout autant, sinon plus, que l’économie, la sécurité, les identités, le climat, etc. Surtout en ce laboratoire Liban, où cohabitent, tantôt dans une convivialité tétanisée, tantôt dans une animosité noyée de bave, trois de ces jihadismes, pendant que le quatrième tambourine à ses portes. L’enjeu majeur. L’enjeu fondamental.

Parce que le jour où ces intégrismes, qui travaillent déjà en binômes interchangeables, ou même en trios, comprendront qu’ils peuvent s’unir et se fédérer dans une létale et carrément invincible bande de quatre, il sera bien trop tard.