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Quelques idées pour clore 2014 : des brèches par lesquelles la lumière filtre au milieu des ténèbres…

L’année 2014 s’achève sur une image bien familière, en l’occurrence celle de la déliquescence institutionnelle libanaise : l’élection présidentielle s’est avérée impossible, la Chambre des députés a prorogé son mandat pour la deuxième fois, les forces politiques restent incapables de s’entendre sur une nouvelle loi électorale et, last but not least, le prestige de l’État s’est retrouvé considérablement bafoué, symboliquement, dans l’affaire des militaires otages.
Mais la crise politique n’est pas uniquement confinée au domaine institutionnel. Il faut y ajouter, conflit syrien oblige, un panorama sécuritaire précaire qui justifie aujourd’hui tous les dialogues, même les plus improbables, une situation sociale catastrophique du fait du nombre exorbitant de réfugiés sur le territoire libanais, ainsi qu’une conjoncture économique figée, du fait d’une baisse du pouvoir d’achat chez le consommateur libanais, qui préfère préserver ses maigres revenus en attendant que la tempête passe.
Le bilan n’est donc pas particulièrement encourageant. Pour brasser un peu d’optimisme, l’on se consolera ainsi avec les moyens de bord, c’est-à-dire en constatant combien, en fin de compte, le Liban reste épargné, en dépit de toutes les difficultés – et pour une fois –, dans un environnement arabe immédiat ravagé par des confrontations sanglantes à caractère sectaire sans perspectives de solution pour l’instant.
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En dépit de toutes les mauvaises nouvelles, l’on pourra néanmoins se féliciter de trois dynamiques qui rachètent quelque peu 2014.
La première est l’unité qui s’est créée autour de l’institution militaire. Certes, la troupe est toujours au centre de querelles d’influences majeures entre les deux camps politiques qui s’affrontent depuis 2005 dans le pays, et il est bon que le débat positif sur la troupe se poursuive, pour éviter qu’elle ne soit récupérée de quelque manière que ce soit par une partie quelconque, ou embarquée malgré elle dans des équipées égoïstes et meurtrières aux dépens de son statut rassembleur et de son image nationale. Cependant, face à Daech, comme autrefois face au Fateh el-Islam à Nahr el-Bared, l’armée fait vibrer un certain sentiment national, et, à défaut, donne la ferme impression d’être véritablement fidèle à son poste. De plus, il n’y a que les monstres d’insensibilité qui n’ont pas été émus par la souffrance des parents des militaires pris en otage. Ce sont des épreuves pareilles, douloureuses et terribles, qui fédèrent les nations, à condition que ces dernières sachent en ressortir dignes, la tête haute, renforcées et grandies.
La deuxième dynamique à signaler est le réveil, quoique tardif, de la classe politique libanaise face à la corruption – même si, finalement, entre les redresseurs de torts d’aujourd’hui et les corrupteurs d’autrefois, il n’y a pas vraiment beaucoup de différence. Il convient ainsi de louer la bouffée d’air pur introduite par le ministre de la Justice, Achraf Rifi, qui a décidé de soulever la vieille question des tribunaux d’exception, en l’occurrence le tribunal militaire et la Cour de justice, et promis d’en faire réviser les lois qui y rapportent de manière à limiter la politisation de la justice. L’on ne peut que saluer cette mesure courageuse, surtout lorsque l’on sait combien de citoyens libanais, notamment sous l’occupation syrienne, ont fait les frais de l’injustice « addoumienne » par le biais de ces deux tribunaux d’exception.
Autre bouffée d’air frais, celle apportée par le ministre de l’Information, Ramzi Jreige, qui a remis en place avec le plus grand respect des libertés – de la part d’un homme réputé pour ses positions de principe dans le domaine des libertés publiques et qui a été l’un des avocats chargés de défendre la MTV face à l’appareil sécuritaire répressif libano-syrien – les médias, emportés par la course au sensationnalisme, loin des règles éthiques les plus élémentaires dans l’affaire des otages. Dans un pays en plein délitement moral et culturel, fixer des repères est devenu une nécessité.
Un autre exemple a été donné par le ministre de la Santé Waël Bou Faour dans sa lutte pour l’hygiène alimentaire, qui a contribué d’une manière herculéenne à nettoyer quelque peu les écuries d’Augias dans un climat général de laisser aller de la part des organismes de contrôle, aux dépens de la santé et du bien-être des consommateurs. Il aura eu le mérite de faire des jaloux dans les rangs de ses confrères, puisque nombre d’entre eux ont immédiatement voulu suivre l’exemple. L’on pourra toutefois relever que la campagne aurait été ô combien plus efficace si elle avait été moins médiatique et plus ordonnée, plus disciplinée. Car, comme le note une référence juridique, il ne suffit pas simplement de critiquer et de montrer du doigt. Toute critique doit en effet déboucher sur une mesure qui relève des attributions de chacun. Dans toute cette histoire de corruption, il ne suffit pas en effet de transférer le dossier devant le parquet pour échapper à la nécessité de déterminer des responsabilités administratives. La corruption ne s’est pas établie du jour au lendemain : pour rendre la campagne plus crédible et monter qu’il ne s’agit pas uniquement d’une révolte passagère qui durera ce que durent les roses, et pour faire surtout preuve de cohérence, il serait bon de fixer aussi, au lieu de s’en prendre au secteur alimentaire uniquement, les responsabilités de l’Inspection centrale, du pouvoir hiérarchique, des directeurs généraux, qui sont responsables de par la loi. Sauf s’il existe des doubles standards, et que la lutte contre la corruption, comme d’habitude, ne s’applique qu’aux plus vulnérables, c’est-à-dire ceux qui ne bénéficient pas de la couverture du pouvoir.
La troisième dynamique, enfin, est celle, fondatrice, du Tribunal spécial pour le Liban. Indépendamment du clivage politique fondamental qu’elle suscite sur le plan national, l’image du député Marwan Hamadé faisant le procès, avec effet catharsis à l’appui, des méthodes anschlussiennes du régime syrien au Liban, représente la craquelure, la brèche, par laquelle la lumière filtre à travers les ténèbres (en attendant ce que diront Walid Joumblatt, Fouad Siniora, Hani Hammoud et bien d’autres encore). Une véritable perspective d’aurore pour un Liban plus juste, moins violent, plus ouvert, plus en phase avec la mission d’espace de vivre-ensemble que ses pères fondateurs avaient choisie pour lui. C’est d’ailleurs ce combat pour la justice, la non-violence et le vivre-ensemble que l’ancien député Samir Frangié mène inlassablement, discrètement, dans l’ombre, pour rappeler aux Libanais qu’en dépit de tous les doutes qui pourraient les crucifier face au sentiment de néant qui les assaillit de toutes parts, ils ont un patrimoine solide à défendre dans un monde en perte de valeurs et à la recherche de solutions aux crises sociétales, au plan des rapports humains et culturels, issues de la mondialisation.
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N’en déplaise aux partisans de la sinistrose et du nihilisme, si la politique, en raison des blocages et des contre-performances des principaux protagonistes des enjeux de pouvoir, est complètement déconsidérée aujourd’hui aux yeux du citoyen, il ne faut pas désespérer du politique. Non, toute la classe politique n’est pas à jeter ; non, tout le monde n’est pas à mettre, d’une manière commode, dans le même paquet, avec la date de péremption ; non, cet instant initial, original, imaginaire, où tout était magnifique, beau, propre et paradisiaque, n’a jamais existé.
Et, surtout : non, l’armée, les milieux financiers, le clergé, les médias ou la société civile ne sauraient constituer des palliatifs, comme beaucoup le pensent, à l’ordre politique : chacun de ces corps constitués a suffisamment à faire dans son domaine, trop sans doute pour qu’on lui confie la charge de se substituer au corps politique, lequel doit assurer une participation cumulative de toutes les catégories de la société sous le préau rassembleur de l’État.
Toute dérive autocratique qui consisterait, que ce soit pour des raisons idéalistes ou cyniques, à déconsidérer le politique en faveur d’un autre ordre, serait, in fine, en train de contribuer à créer de nouveaux maux et de nouveaux populismes qui ne seront pas plus doux que ceux dont le Liban souffre déjà.
Rendons donc à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu, sans scier davantage la branche sur laquelle César est perché : il a déjà fort à faire, et nous avec lui, pour que l’arbre tout entier ne succombe pas à la maladie.