Heureux temps où la verdeur du jargon politique nous donnait l’illusion de vivre au pays du franc-parler, des opinions bien arrêtées, et surtout clairement déclinées. De langues bien pendues en mielleux gages de conciliation, en passant par la classique langue de bois, c’est sur une impressionnante collection d’ambiguïtés que s’achève l’année.
Parce que vie d’hommes prime sur toute chose, le plus pressant de ces nébuleux dossiers est celui de ces deux douzaines de soldats retenus en otage depuis plus de quatre mois par les terroristes islamistes infiltrés de Syrie. Comment diable se sont-ils laissé capturer en aussi grand nombre dès les premières heures de la bataille de Ersal ? Aucune enquête ne nous le dira probablement, et de toute manière, d’autres questions se posent aujourd’hui avec encore plus d’acuité. Ainsi, toutes les composantes du gouvernement sont-elles vraiment acquises au principe d’un troc avec les ravisseurs ? Et si oui, qu’est-ce qui retarde autant la conclusion d’un marché ? Qui exactement supervise la négociation et quels sont les intermédiaires pressentis, États, particuliers, hommes de religion ou vagues courtiers sans foi ni loi? Et enfin, si autorité centrale il y a vraiment, comment expliquer les démarches entreprises à titre privé par plus d’une partie siégeant au gouvernement ?
Non moins prioritaire est la question de la vacance présidentielle vieille, elle, de huit mois. Dans son message traditionnel de Noël, le patriarche maronite invitait mercredi les Libanais à prier pour une élection rapide. Le cardinal Béchara Raï appelait en outre les responsables politiques à respecter la Constitution, comme à faire preuve d’une allégeance sans partage à la patrie. Atterrante, en vérité, est cette objurgation qui montre à quel point le débat national paraît se réduire aujourd’hui à un bras de fer entre Libanais saoudiens et Libanais iraniens. Il reste que les premiers n’ont pas raté une seule des séances parlementaires convoquées, mais en vain, pour l’élection présidentielle, tout comme ils ont fait part de leur entière disposition à rechercher un accord sur un président de consensus. Ce n’est pas (pas encore ?) le cas des seconds, qui continuent de provoquer un défaut de quorum ; partie hier présenter ses vœux au patriarche, une délégation du Hezbollah déclarait ainsi s’en tenir, jusqu’à présent, à la candidature du général Michel Aoun.
Ce jusqu’à présent traduit-il des positions immuables augurant d’une perpétuation de la crise ? Le terme ouvre-t-il au contraire la porte à une discussion sérieuse de la question présidentielle, dans l’intimité feutrée du dialogue tout juste engagé entre le courant du Futur et la milice chiite ? On ne le répétera jamais assez : ce contact rétabli est surtout utile et bénéfique parce qu’il devrait conduire, au niveau de la rue, à décrisper les rapports entre les deux grandes branches de l’islam libanais. Quant au reste, il faudra sans doute beaucoup d’efforts (beaucoup d’imagination aussi !) pour réaliser ce qui ne laisse pas de ressembler à un improbable mariage de l’eau et du feu.