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Radiopassivité

On croyait avoir tout vu, subi toutes les avanies : des produits avariés dans les entrepôts de vivres, des vers dans la viande, des légions de rats et de cafards colonisant les boulangeries… Tout cela n’était cependant que de la petite bière. Car notre hygiène nationale, la voilà qui émerge de l’âge de pierre pour entrer dans l’ère nucléaire, avec cette vaisselle à l’isotope de cobalt 60, marmites, couverts et autres ustensiles dangereusement radioactifs, proscrits partout ailleurs dans le monde et interceptés hier au port de Beyrouth.

Cette providentielle découverte, on la doit à la vigilance du ministre des Finances, qui s’est récemment promis de mettre bon ordre dans les services douaniers, livrés depuis des années aux plus scandaleux des trafics. Heureuse campagne qui vient idéalement compléter celle, en tout point pionnière, entreprise par le ministre de la Santé. C’est de l’estomac du Liban que se soucie salutairement Waël Bou Faour, même si ses méthodes ultramédiatisées peuvent être contestées. Or, la santé est un tout, et c’est par ses poumons aussi – le port et l’aéroport – que le Liban ingurgite toutes sortes de poisons.

Et quoi ensuite, ne manque-t-on pas de se demander, une fois absorbée cette élémentaire leçon de sciences naturelles. Car rien d’autre n’aura été fait qu’un coup d’épée dans l’eau des immondes éviers si l’intendance ne suit pas : si les marchands de mort lente ne sont pas durement sanctionnés, si les fonctionnaires véreux couvrant ces scandaleuses pratiques ne sont pas débusqués, radiés de l’administration ou même jetés en prison. Ce ne serait là que justice. C’est dire que si justice il reste encore dans ce pays où se liquéfient, l’une après l’autre, les institutions, elle devra se décider à mettre les bouchées doubles. Elle ferait même bien, la justice, de remonter dans le temps, de chercher à savoir pour quelle raison des conclusions et recommandations très précises, pourtant émises il y a des années par l’Inspection centrale et la fonction publique, ont été enterrées dans les tiroirs puis ont sombré dans l’oubli.

À son tour, la justice internationale devrait avoir pas mal de pain sur la planche en 2015. Après avoir inculpé cinq exécutants présumés, le Tribunal spécial pour le Liban en est à passer au crible le climat politique qui a présidé à l’assassinat, il y a dix ans, de Rafic Hariri. C’est ce qu’a permis de constater l’audition du ministre Marwan Hamadé, au cours de laquelle ont été amplement évoquées les pressions et menaces syriennes proférées contre l’ancien Premier ministre ; et ce sont des détails inédits que promettent d’apporter les témoignages attendus dans les toutes prochaines semaines. Quel peut être l’impact de ces éventuelles révélations sur le dialogue tout juste engagé entre le courant du Futur et le Hezbollah ? Tôt ou tard, la question devra inévitablement se poser. Pour l’instant, on préférera sans doute se dire chaque chose en son temps.