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Relents de crise

Quel type de société, quel pays peut-il vivre, ou du moins survivre, sans garde-fous, sans références ni instances de recours, sans appareil de gestion, sans dispositifs de surveillance et de sanction ?

Si la réponse est toute trouvée hélas, elle ne manque pas de susciter une autre angoissante interrogation : combien de temps une si anormale situation peut-elle encore durer dans notre increvable Liban ? Car il ne s’agit plus seulement de la sécurité des citoyens, chaque jour un peu plus menacée, pourtant, par la terrifiante recrudescence de la criminalité, qu’il s’agisse d’assassinats commis en pleine rue ou de rapts. C’est l’État lui-même qui est en train de se vider de sa substance, de son sang, de sa raison d’être.

Privé de président de la République, affligé d’un Parlement fantôme et d’un gouvernement frappé de paralysie galopante, l’État a littéralement perdu la boussole : c’est-à-dire le code, le mécanisme, la procédure qui, même dans les conjonctures les plus invraisemblables, lui permettrait de trancher, de décider, pour le meilleur ou pour le pire.

Ne poussons pas le ridicule jusqu’à envier l’Amérique, où même l’homme le plus puissant du monde, Barack Obama, est tenu de vendre l’œuvre de sa vie, l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, à un Congrès rétif, ou bien alors de court-circuiter celui-ci en usant de son droit de veto. Pour un peu cependant, on jalouserait la peu démocratique théocratie iranienne, où le même accord, non moins combattu par l’aile dure du régime, doit encore passer les caps prévus par la Constitution. Cela sans parler de la Grèce où un peuple abreuvé de fausses promesses a dû ravaler sa colère, une fois entérinée par le Parlement la reddition d’Alexis Tsipras au diktat européen.

Mais oubliez un moment nos misères institutionnelles pour ne songer qu’aux besoins quotidiens et intérêts vitaux d’une population ignorée avec mépris par ses dirigeants. Hier coffre-fort des émirs, le Liban en est aujourd’hui à faire la manche ; victime de sa vocation de pays refuge, il en appelle en effet à la générosité (passablement mesurée) de la communauté internationale pour gérer le catastrophique afflux de réfugiés syriens sur son territoire. Victime cette fois de ses clivages sauvages internes, le Liban est aussi – on croit rêver – le seul pays au monde à se trouver incapable de saisir la main tendue : d’accepter selon la procédure requise, c’est-à-dire avec le blanc-seing du Parlement, les prêts et même les dons gracieux qui lui sont proposés par la Banque mondiale, et qui sont destinés à financer des projets de développement !

Ce triste record n’est pas le seul d’ailleurs. Incapable même de se prêter à la becquée, notre pays est aussi le seul au monde à ne savoir comment se débarrasser convenablement, sainement, de ses déchets. Un peu partout, les trottoirs – et parfois même la chaussée – sont envahis par les décharges sauvages.

Il y a longtemps que Liban ne fleure plus la rose et le jasmin ; mais de là à en faire un pays poubelle…