L’éditorial
À peine encaissé le terrible choc de Manchester, voici que le terrorisme frappe une nouvelle fois en Égypte. Ici un suicidaire libyen qui se fait sauter à la fin d’un concert pop, entraînant dans la mort 22 personnes et en blessant plusieurs dizaines ; et là, des jihadistes mitraillant, hier, un car de pélerins en route pour un monastère, faisant 26 morts parmi ses passagers. Deux modes opératoires différents, mais un même auteur, l’État islamique. Et surtout, la même et lancinante question pour tous les habitants de la Terre : jusqu’à quand faudra-t-il s’habituer à côtoyer la mort dans l’exercice de ses activités quotidiennes ?
Parce que l’espoir c’est la vie, on peut raisonnablement escompter que la mobilisation internationale croissante contre le fléau du terrorisme finira bien, à plus ou moins longue échéance, par porter ses fruits ; le contraire serait en effet une sorte de fin des temps. Voilà qui n’occulte en rien cependant la mère des interrogations : combien d’États, d’heureux élus, pourront-ils tenir en attendant le jour béni ?
L’élixir de longue vie est bien connu pourtant, même s’il n’est pas à la portée de tout le monde : c’est la résilience, c’est cette volonté de se relever quand on a essuyé un coup dur et qu’on a mis un genou à terre, cette capacité de retrouver ses potentialités après avoir émergé d’un stress post-traumatique. Or, si colossal est le dessein terroriste qu’un tel don des dieux n’est plus désormais concevable sans une résilience partagée, associative, entre les États et les sociétés dont ils ont la charge. C›est loin hélas d’être toujours le cas.
Les coptes d’Égypte ne constituent pas seulement une des communautés chrétiennes les plus anciennes d’Orient. Ils sont aussi les doyens des Égyptiens eux-mêmes en termes de résidence ininterrompue, à travers les siècles, sur les bords du Nil. Ils sont la cible désignée de l’État islamique, leurs lieux de culte sont régulièrement attaqués et rien ne laisse prévoir que le carnage va cesser.
Bien sûr, de tels actes suscitent régulièrement la réprobation (tristement stérile) des autorités politiques et spirituelles du Caire. Bien sûr, le régime du maréchal Abdel-Fattah al-Sissi est en guerre contre les groupes jihadistes et vient même de récolter des mains de Donald Trump un certificat de bonne gouvernance. Mais comme lors des tout récents attentats de la fête des Rameaux, il en faudra bien davantage pour calmer la colère, le sentiment d’abandon qui gagne chaque jour un peu plus la communauté copte. Bien que représentant tout de même 10 % de la population, celle-ci n’est que symboliquement représentée dans les diverses institutions. Comment, dès lors, la longue tradition d’une telle discrimination ne serait-elle pas perçue par les fanatiques comme une licence de tuer ?
Admirable, en contraste, est l’après-Manchester, même si la politique ne perd pas ses droits, si la Première ministre britannique Theresa May est en butte aux attaques du parti anti-immigration si les relations avec les États-Unis attrapent un coup de froid après la publication par le New York Times de photos relatives à l’enquête partagées avec les services de renseignements US. Dès hier toutefois, et passée la communion dans le deuil, le pays renouait avec la normalité, repartait en campagne électorale, alors même que le niveau d’alerte terroriste était porté à son degré maximal.
L’avant-veille déjà, soit quelques heures seulement après l’attentat de Manchester, l’ambassadeur britannique à Beyrouth offrait une belle démonstration de pugnacité face à l’épreuve en accueillant, un triste sourire aux lèvres, ses invités venus pour la célébration de l’anniversaire et du jubilé de saphir (65 ans de règne) de la reine Elizabeth. Vous autres Libanais, a affirmé ce soir-là l’ambassadeur Hugo Shorter, connaissez mieux que personne le sens de la lutte et de la résilience : affectueux hommage, hommage mérité certes, mais à moitié seulement, faut-il malheureusement reconnaître.
Car nous avons aussi les défauts de nos qualités, et c’est bien notre faculté d’adaptation aux situations les plus invraisemblables qui nous pousse à accepter l’inacceptable. Aussi réelle soit-elle, notre légendaire résilience n’est bien souvent que peu glorieuse résignation…