Parce que la paralysie institutionnelle est, semble-t-il, vouée à perdurer, chaque nouvelle rumeur d’éclaircie est vite étouffée par une cacophonie politique de conditions inconciliables émanant de différentes parties. La séance de dialogue national, lundi dernier, avait consacré un accord quasi unanime pour la tenue du prochain Conseil des ministres, prévu aujourd’hui.
Le Courant patriotique libre (CPL) avait été le seul à maintenir le flou sur sa participation à la réunion, mais plusieurs indications tendaient à confirmer son éventuelle présence : la volonté déclarée du Hezbollah de relancer le gouvernement (le député Ali Fayyad a fait une déclaration en ce sens hier depuis Aïn el-Tiné, et la relance de l’exécutif avait d’ailleurs été au cœur du dialogue Hezbollah-Futur lundi dernier) ; la conviction qui s’était constituée, notamment dans les milieux du Grand Sérail, selon laquelle le parti chiite finirait par convaincre le CPL de lever le boycottage du cabinet ; l’attitude « positive » du général Michel Aoun devant ses visiteurs et du ministre Gebran Bassil à la table de dialogue, face à l’éventualité d’une marche durable du gouvernement ; le tout sous-tendu par des informations sur la contrepartie qui aurait été concédée à Michel Aoun pour la relance du cabinet : procéder aux nominations des trois postes vacants au sein du Conseil militaire, préalablement à l’examen des 140 clauses prévues à l’ordre du jour.
Toutefois, les espoirs d’une participation du CPL à la séance d’aujourd’hui – renforcés par les attentes positives du président de la Chambre rapportées hier par ses visiteurs – ont été grevés hier soir par le mutisme officiel du bloc aouniste sur la question, dont les membres étaient injoignables. Selon des informations non confirmées diffusées tard en soirée, le CPL aurait pris la décision de ne pas prendre part à la réunion.
Il reste que le Conseil des ministres se tiendra malgré tout aujourd’hui, comme l’a confirmé à L’Orient-Le Jour une source ministérielle. Les nominations des membres du Conseil militaire ne devraient pas toutefois être à l’ordre du jour.
Le scénario le plus optimiste prévoit que les ministres du bloc aouniste – ou du moins le ministre Élias Bou Saab, non membre du CPL – pourraient se rendre à la séance et demander de débattre des nominations sécuritaires, en dehors de l’ordre du jour. Le ministre de la Défense, Samir Mokbel, proposerait alors une liste de noms de candidats, préalablement aux nominations qui seraient avalisées lors du prochain Conseil, qui doit être fixé à jeudi prochain. M. Mokbel, qui a pris part hier à une réunion du bloc ministériel de l’ancien président de la République Michel Sleiman au domicile de ce dernier à Yarzé, a déclaré qu’il comptait communiquer sa liste de noms d’officiers (élaborée après concertation avec le commandant en chef de l’armée) soit aujourd’hui, soit jeudi prochain. Autrement dit, c’est la semaine qui sépare les deux séances qui définira, en principe, l’issue des nominations sécuritaires, à l’heure où ce dossier se complique d’ores et déjà et se transforme en un nouveau bras de fer Sleiman-Aoun.
Dans la perspective de débloquer l’exécutif, le général Michel Aoun avait pourtant accepté (en principe) de restreindre sa demande initiale relative aux nominations sécuritaires : rappelons qu’il exigeait non seulement de combler les trois postes vacants au sein du Conseil militaire (les sièges dévolus aux représentants des communautés grecque-orthodoxe, grecque-catholique et chiite), mais aussi de procéder à des nominations nouvelles aux deux autres postes remplis par le commandant en chef de l’armée et le chef d’état-major actuels, ces derniers ayant bénéficié d’un report de leur départ à la retraite – report vivement contesté par le bloc aouniste.
Si le général Michel Aoun a accepté toutefois de mettre en suspens la question de la nomination d’un nouveau commandant en chef de l’armée et de se contenter de réclamer uniquement l’obtention des nominations aux trois postes vacants, c’est à condition d’avoir son mot à dire sur les nominations aux deux postes attribués respectivement aux communautés orthodoxe et catholique. Plus précisément, il exigerait que le ministre de la Défense se concerte au préalable avec lui dans la sélection des candidats potentiels.
Or, cette condition est contrariée par plusieurs considérations : le refus que lui oppose le ministre de la Défense, soutenu par le président Sleiman, qui invoque le respect des procédures relatives aux nominations sécuritaires (c’est-à-dire que la liste des noms de candidats doit être élaborée strictement par le ministre de la Défense, après concertation avec le commandant en chef de l’armée, sur la base des critères de la compétence et de l’ancienneté : c’est ce qu’a déclaré d’ailleurs hier soir M. Sleiman sur son compte Twitter).
Une autre considération est liée au refus par des parlementaires de la communauté orthodoxe de concéder à Michel Aoun la désignation de l’officier relevant de leur communauté. Le nom du candidat qu’ils soutiennent aurait d’ailleurs été déjà communiqué au ministre de la Défense, apprend-on de source informée. Le ministre Michel Pharaon avait d’ailleurs jugé improbable, à L’OLJ, de lier la relance de l’exécutif à la question des nominations sécuritaires. La considération la plus significative, enfin, est celle de l’atteinte morale que ces nominations porteraient à la troupe. Procéder aujourd’hui à des nominations partielles du Conseil militaire conduirait à propulser des officiers au sein de cette instance sur la simple base de leur appartenance communautaire, au détriment d’autres officiers qui devraient pourtant être favorisés du fait de leur ancienneté et de leur mérite.
En somme, ce sont des « rivalités byzantines » que le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, dénonce à L’OLJ. « Ce sont ces mêmes rivalités qui avaient mis en échec la nomination du général Chamel Roukoz au commandement de l’armée, laquelle était pourtant une demande aouniste légitime », souligne-t-il, en disant ne plus se mêler de la question des nominations sécuritaires. « Je n’ai que faire des palabres byzantins émanant de grands et de petits ténors, ou encore des militaires qui se veulent tous haut gradés… » affirme M. Joumblatt d’un ton lapidaire.
Entre-temps, alors que la présidentielle est gelée, pour reprendre les termes de Nabih Berry, les concertations vont bon train à Paris entre les Marada et le Futur, et plus précisément Saad Hariri, d’une part, et Sleiman Frangié ou ses représentants, de l’autre. Et, à Beyrouth, le climat entretenu par les Forces libanaises tend à vouloir renforcer l’idée que Samir Geagea peut bousculer la donne en déclarant son soutien à la candidature du général Michel Aoun… Même si des sources bien informées du 14 Mars écartent cette éventualité en faisant appel au bon sens du leader FL, le risque étant, pour lui, de perdre une alliance stratégique avec le leadership sunnite contre un choix tactique aux débouchés incertains.