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Retour de bâton

 

Ce n’est pas pour absoudre l’Arabie saoudite, qui suspendait hier son aide de trois milliards de dollars destinés à l’achat de matériel français pour l’armée libanaise ; mais celle-là, il fallait être aveugle pour ne pas la voir venir. Car on ne peut pas impunément, et à coups redoublés, faire la nique à plus puissant que soi : surtout quand ce puissant se considère aussi comme votre bienfaiteur.

Pour cousus d’or qu’ils soient malgré la chute des prix du pétrole, il peut arriver aux Saoudiens d’en vouloir absolument pour leur argent, et on pourrait difficilement le leur reprocher. Car sans même revenir sur ce don de trois milliards, le royaume abrite des centaines de milliers d’expatriés libanais actifs dans les secteurs les plus divers, et dont les transferts réguliers demeurent vitaux pour notre économie. Bien sûr, tout cela ne devrait pas faire de l’État un bêlant adorateur de l’Arabie. Mais de là à multiplier les gestes inamicaux, voire carrément hostiles…

Ces prises de position outrancières, Riyad y voit, non sans raison, l’empreinte du Hezbollah. Non point que les Saoudiens soient particulièrement incommodés par les attaques, injures et menaces proférées, lors de chacune de ses apparitions publiques, par Hassan Nasrallah. Toutes ces amabilités font en effet partie d’une lassante routine venue se greffer sur la guerre de Syrie ; et puis, jusqu’à nouvel ordre du moins, Nasrallah n’occupe aucune fonction officielle, il n’a nulle qualité pour parler au nom du Liban. En revanche, il a hélas qui parler pour lui devant les instances internationales : en l’occurrence son allié du Courant patriotique libre, inconsidérément bombardé ministre des Affaires étrangères, comme s’il fallait à tout prix l’éloigner des Télécommunications où il s’était déjà distingué par une gestion des plus calamiteuses.

De fait, et par deux fois ces dernières semaines, Gebran Bassil a donné à voir une bien étrange illustration de la neutralité libanaise en se dissociant d’une unanime solidarité avec l’Arabie saoudite, dont les représentations diplomatiques en Iran venaient d’être saccagées par des manifestants. Au sous-sommet arabe du Caire ont succédé les assises islamiques de Djeddah, et c’est là que l’imprudent y est allé d’un second camouflet, d’autant plus cuisant, celui-là, qu’il était asséné sur le sol même des Saoudiens. Comment s’étonner, dès lors, de la désinvolture avec laquelle ceux-ci ont fait part de la suspension du marché d’armements avec la France : une simple dépêche d’agence y a suffi, sans même que soient notifiés le ministère de la Défense et encore moins celui des AE.

D’autant plus dur est le coup pour une institution militaire cruellement en manque d’équipements modernes que le peu diplomate chef de la diplomatie, sourd à toute instruction qui n’émanerait pas de ses alliés, se trouve être le gendre et héritier politique d’un leader qui fut lui-même commandant de l’armée. Et qui, mieux que personne, devrait être en mesure de se rendre compte de l’effarante étendue des dégâts.

À plus modeste échelle, Saad Hariri fait figure de victime collatérale. C’est lui en effet qui avait apporté aux Libanais la bonne nouvelle du don saoudite ; or, celui-ci part en fumée, au moment précis où, rentré de son exil, le chef du courant du Futur s’efforce de reprendre en main sa clientèle sunnite et de rétablir l’entente au sein du 14 Mars. Loin des enjeux politiques cependant, c’est la population tout entière, toutes appartenances confondues, que pénalise lourdement une politique qualifiée, fort à propos, d’étrangère.