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Réveillons-nous !

Tribune

 

Il est temps de sortir de cette nuit profonde dans laquelle nous sommes plongés, une nuit peuplée de rêves que nous persistons à prendre pour des réalités.

Et ces rêves sont nombreux : le rêve d’un parti communautaire de réaliser ce que tous les partis qui l’ont précédé n’ont pas réussi à faire, à savoir imposer la domination de la communauté qu’il prétend représenter sur les 18 autres présentes dans le pays ; le rêve d’un homme qui, depuis 28 ans, réclame d’être élu à la présidence de la République, faute de quoi pas de république ; le rêve enfin d’un mouvement nostalgique de ce qu’il était en 2005 de refaire l’unité de ses rangs, alors que ses dirigeants continuent de se disputer sur le choix d’un candidat à la présidence.
Mais cette nuit profonde est également peuplée de cauchemars qui, eux, sont bien réels : le cauchemar d’une guerre mondiale à nos frontières avec la participation de toutes les grandes puissances à l’exception, jusqu’à ce jour, de la Chine ; le cauchemar d’une nouvelle « guerre de trente ans » entre sunnites et chiites qui ravage déjà la Syrie, l’Irak et le Yémen ; le cauchemar d’une nouvelle guerre de religion islamo-chrétienne que le groupe État islamique s’applique à déclencher à travers des attentats ciblés…
Il est temps d’ouvrir les yeux et de prendre conscience que notre pays va à la dérive avec un État qui ne parvient plus à renouveler ses institutions, une économie soumise à des pressions croissantes et gangrenée par la corruption, et le plus haut pourcentage de réfugiés syriens dans le monde.
Il nous faut impérativement œuvrer à jeter les bases d’un autre Liban, un Liban de paix, riche de la diversité exceptionnelle de sa société, un Liban ouvert sur le monde capable de jouer le rôle qui lui est dévolu, un Liban tourné vers l’avenir.
Comment le faire ? En œuvrant à une réconciliation nationale qui tournerait définitivement la page de toutes les guerres que nous avons connues. Cette réconciliation aurait dû se faire après l’arrêt des combats en 1990. Le pouvoir syrien qui contrôlait le pays s’y était alors opposé parce qu’elle l’aurait privé de sa raison d’être au Liban. Il avait, au contraire, œuvré à maintenir les tensions communautaires et à garder le pays dans une situation de « guerre froide », appelée à tout moment à se transformer en « guerre chaude ».
En 2001, a lieu la réconciliation de la Montagne, sous l’égide du patriarche maronite, Mgr Nasrallah Sfeir, et du leader druze, Walid Joumblatt, qui tentent de contourner le blocage syrien. Deux jours plus tard, une vague de répression sans précédent s’abat sur le pays.
En 2005, l’assassinat de Rafic Hariri donne le signal d’une incroyable réconciliation entre les Libanais qui, surmontant leur passé de guerre, de souffrances et d’humiliations, décident de reprendre en main leur destin national, forçant la Syrie à retirer ses troupes du Liban. Cette réconciliation est une nouvelle fois mise en échec par les partisans de la Syrie à coups d’assassinats et de petites et grandes guerres, du Sud à Nahr el-Bared et Beyrouth.
Peut-on faire une telle réconciliation alors que les forces politiques demeurent, pour la plupart, prisonnières de leurs appétits de pouvoir, de leurs projets idéologiques et d’une culture de la violence qui continue de faire de la peur de l’autre le moteur de l’histoire libanaise ?
La réponse est de toute évidence négative. La réconciliation à faire n’est pas un compromis à trouver entre les partis politiques pour un nouveau partage du pouvoir entre eux.
La réconciliation dont il est question a pour objectif de refonder notre vivre-ensemble aux conditions de l’État, plus aux conditions d’une communauté dominante et d’ouvrir ainsi une nouvelle page dans notre histoire nationale. Et cette réconciliation n’a pas besoin de l’accord des partis politiques et peut s’exprimer à travers des initiatives lancées à des niveaux différents par tous ceux qui travaillent au sein de la société civile à mettre un terme à toutes les formes de violence.
Pourquoi parler aujourd’hui de réconciliation nationale ? Parce que nous sommes à la veille de changements régionaux importants, incapables, en raison de nos querelles et de nos divisions, de participer à la réflexion en cours sur l’avenir de la région et d’apporter à travers notre expérience du vivre-ensemble une contribution nécessaire aux pays qui nous entourent.
Qui peut faire une telle réconciliation ? Tous ceux qui ont quitté leurs « prisons » identitaires, tiré les leçons de la guerre, réalisé l’importance du lien à l’autre et compris que la véritable richesse du Liban réside dans son expérience du vivre-ensemble qui fait de lui le seul pays au monde où chrétiens et musulmans sont associés dans la gestion d’un même État, et le seul pays dans le monde arabo-musulman où sunnites et chiites sont également partenaires dans la gestion d’un même État.
Il est temps de mettre un terme aux « rêves » des uns et des autres et d’assumer nos responsabilités dans ces moments historiques qui vont déterminer l’avenir de notre pays pour une très longue période.