IMLebanon

(R)évolutions d’octobre

L’ÉDITORIAL

 

Même quand ils ne sont pas à l’écoute de leurs astrologues, devins et autres diseurs de bonne aventure, bien des personnages publics croient avoir leurs jours – ou leur mois – de chance ou, au contraire, d’infortune. Entre les deux pourtant s’étend cette zone grise faite de périodes dites fatidiques, au sein desquelles balancent, entre un extrême et l’autre, les destins.
Mois de désastres, octobre peut-il être ainsi, 26 ans plus tard, celui d’une bien douce revanche ? Plus que jamais, et non sans quelque raison d’ailleurs, les proches de Michel Aoun en sont convaincus. Commémoré tout au long de cette semaine, le 13 marque certes, malgré toutes les enjolivures dont on l’enrobe, une magistrale déconfiture politique et militaire. Mais par la magie d’une simple inversion des chiffres, assurent certains de ses proches, le 31, date fixée pour la 46e séance électorale du Parlement, verra se réaliser enfin le rêve présidentiel du général.
Pour s’en tenir à ces deux dates, on constatera que la symbolique attachée à la première n’a pas fini de diviser profondément les Libanais. Aux yeux des uns en effet, la guerre de libération décrétée par le général était perdue d’avance, surtout depuis le moment où elle a viré à une guerre entre chrétiens ; pour les inconditionnels, c’est seulement une vaste coalition régionale et même internationale qui a scellé le sort du grand dessein, à preuve que l’on a vu Israël tolérer pour la première fois une intervention de l’aviation syrienne. Les premiers reprochent notamment au général de s’être réfugié à l’ambassade de France en abandonnant ses troupes ; et les seconds soutiennent qu’il ne s’y était rendu que pour finaliser un accord de cessez-le-feu et qu’il s’y est trouvé pratiquement piégé, version corroborée par l’ambassadeur de l’époque René Ala.
Reste néanmoins le fait, tristement indéniable, qu’en ce 13 octobre de 1990, certaines unités ont continué de combattre jusqu’au bout l’assaillant syrien car elles n’avaient pas été informées par la voie normale de la chaîne de commandement de la cessation des hostilités : celle-ci ayant été annoncée seulement sur les ondes de la radio publique par le général lui-même. Plus terrible encore, des dizaines de ces militaires ont fait l’objet d’exécutions sommaires, tandis que de nombreux autres étaient emmenés en captivité, le plus souvent sans jamais réapparaître. Dès lors, c’est à ces malheureux soldats – et à eux seuls – qu’est dû le devoir de mémoire : cela hors de tous les discours, rassemblements et autres gesticulations politiques en cours, et qui ne relèvent que d’un bien optimiste effort de récupération politique.
Côté 31, il est bien vrai que jamais Michel Aoun n’a paru plus près de se gagner le ralliement de ses adversaires traditionnels. Après Samir Geagea qui a spectaculairement rallié son panache, Saad Hariri envisage sérieusement de lui emboîter le pas, escomptant en échange un aller simple pour le Sérail ; et Walid Joumblatt souligne l’urgence absolue d’une élection, disant en avoir assez des discussions byzantines comme des paniers prétendant imposer des préconditions au futur pensionnaire du palais de Baabda.
Maintenant qu’il semble assez bien se charger de ses ennemis, le général doit paradoxalement se préserver de ses amis, et à leur tête un Hezbollah, visiblement peu pressé de mettre fin au suspense présidentiel. Du chef de la milice pro-iranienne, le leader du Courant patriotique libre attend depuis longtemps qu’il use de son influence pour vaincre les réticences de Nabih Berry, auteur de ces irrecevables conditions. Or, dans ses dernières apparitions publiques, Hassan Nasrallah s’est contenté d’inciter son candidat officiel à rechercher lui-même une entente avec le président de l’Assemblée. Mieux encore, il s’est déchaîné contre l’Arabie saoudite, à l’heure précise où ledit candidat est suspendu aux lèvres de Hariri, protégé notoire de ce royaume.
Un clip posté hier sur Twitter par le député Sleiman Frangié, lui aussi candidat, a fait un véritable tabac. On y voit un petit véhicule téléguidé de couleur orange, celle du CPL, s’obstiner à foncer droit sur les murs. L’histoire ne dit pas qui, en réalité, manie la télécommande…