L’attentat qui a visé hier en Arabie saoudite une mosquée chiite n’est pas le premier à frapper cette communauté au royaume. En novembre 2014 déjà, des hommes armés avaient tué sept chiites, dans la localité d’al-Dalwa, pendant la célébration du deuil chiite de l’Achoura. Mais c’est la première opération revendiquée par le groupe État islamique (EI) dans le royaume. La montée en puissance du groupe jihadiste, l’extension de ses territoires et la multiplication des attentats commis à l’échelle régionale et internationale laissent présager d’autres attaques. Reste à voir la fréquence avec laquelle celles-ci se dérouleront. En attendant, la minorité chiite (10 %), qui se sent déjà discriminée par les autorités, ne se sent pas protégée non plus des retombées de l’implication militaire saoudienne au Yémen, entre autres. Pourtant, les tensions entre le pouvoir et les chiites avaient baissé depuis le mouvement de contestation de 2010 – 2011 ; un dialogue interconfessionnel avait également été entamé pour faire retomber la fièvre dans certaines régions du royaume, notamment Qatif. Sur ce plan, quelles pourraient être les retombées de l’attaque d’hier? Olivier Da Lage, spécialiste français de la péninsule Arabique, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.
Les autorités saoudiennes ont dénoncé hier, après l’attentat à Qatif, une volonté de creuser le fossé entre sunnites et chiites dans le royaume. Que peuvent-elles faire pour empêcher plus de complications avec une communauté minoritaire qui se dit discriminée par le gouvernement ?
Il est très important que les autorités saoudiennes aient réagi si vite et dénoncé l’attentat immédiatement après qu’il a eu lieu, ce qui n’a pas nécessairement été le cas lors d’attaques précédentes. C’est un signal, un message très important, là aussi, qu’elles ont voulu transmettre à la communauté chiite. Sur le terrain, toutefois, les membres de cette communauté n’ont pas l’impression que les choses ont changé. En outre, malgré les critiques des chiites qui estiment n’avoir pas été protégés, il est difficile d’assurer une protection à tous, d’autant que ce n’est probablement pas une priorité pour les autorités. Depuis le mouvement de contestation de 2010, les accrochages avec les forces de l’ordre et les arrestations au sein de la communauté se sont multipliés ; il n’y a donc pas de confiance envers les forces de l’ordre.
L’attentat de Qatif, revendiqué par l’EI, a visé une mosquée chiite. L’Arabie saoudite doit-elle donc se préparer à une guerre contre l’EI, sur son sol, comme ce fut le cas avec el-Qaëda ?
Oui, et ce n’est pas le choix de l’Arabie saoudite. Le mois dernier (le calife autoproclamé Abou Bakr el-) Baghdadi avait directement menacé le royaume. D’ailleurs, l’EI parle à présent de la « wilayat el-Najd » (région d’Arabie dont la fusion avec le Hijaz et d’autres provinces constituera le noyau originel de l’actuelle Arabie saoudite). En outre, les jihadistes de l’EI se revendiquent héritiers légitimes de Mohammad ben Abdel Wahhab (fondateur du wahhabisme, sur lequel est fondé le système du royaume). Ils estiment que la famille royale régnante a trahi le message d’Abdel Wahhab. El-Qaëda aussi s’estimait héritier du wahhabisme et critiquait la famille régnante.
Quelle est actuellement l’importance de l’EI en Arabie saoudite ?
Il est très difficile de le savoir pour l’instant. C’est bien la première fois que le groupe revendique une attaque dans le royaume. On soupçonne évidemment qu’il compte un certain nombre de sympathisants. Et il ne fait pas de doute que, pour beaucoup de sunnites, l’EI est un moindre mal face à l’Iran. Néanmoins, il se peut que l’attentat de Qatif se retourne contre eux.