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Rois de cœur, rois de piques

La monarchie de droit divin, il y a déjà longtemps qu’elle n’existe plus que dans les livres d’histoire. De nos jours, en démocratie du moins (en démocratie seulement !) les têtes couronnées et leur famille ne sont plus libres de leurs actes politiques, de leurs finances ou même de leur vie amoureuse. Et même un brillant palmarès ne suffit guère parfois pour racheter les séniles faiblesses ou dérives des souverains parvenus en fin de carrière.

Une fois disparu son despotique tuteur le général Franco, Juan Carlos a fermement placé l’Espagne sur les rails de la démocratie et a chassé des esprits de ses concitoyens les vieux démons laissés par la guerre civile. Mais 38 ans de règne, cela use énormément. De manière plus irrévocable encore que les ravages des ans, les safaris de milliardaire ou les escapades sentimentales, les malversations commises par une fille et un gendre indélicats auront rendu inévitable l’abdication. Exit Juan Carlos, viva Felipe et c’est avec une sincère affection que l’on souhaite buena suerte à ce pays ami qu’est l’Espagne.

Dans notre région non encore touchée par la grâce démocratique, les rois, émirs et autres cheikhs n’ont évidemment pas à s’encombrer de tels soucis, du moment qu’ils tiennent pour propriété tribale leurs déserts gorgés de pétrole. Mais du moins ces potentats ont-ils la pudeur de ne pas se réclamer d’un quelconque droit divin, même si la maison des Saoud tire gloire de son statut de gardienne des Lieux saints musulmans. En revanche, la théocratie iranienne ne craint pas de se poser, elle, en instrument de la volonté d’Allah en terre d’Orient. Il y a encore mieux cependant, et c’est le prolongement libanais de cet instrument de Dieu : un Hezbollah qui s’est carrément promu parti du Créateur ; qui se décerne sans discussions des victoires divines, qui distribue souverainement bons et mauvais points, qui en vient presque à qualifier d’irréfléchi, sinon à tenir pour acte de trahison, le récent voyage pastoral du patriarche maronite en Terre sainte…

Mais revenons aux royaumes terrestres, et plus particulièrement ceux qui se parent de l’étiquette républicaine. Sous nos latitudes, le pouvoir absolu est la triste règle et nombre de présidents ne résistent pas à la tentation dynastique. C’est ainsi l’un de ses fils, outrageusement enrichi, que le raïs déchu d’Égypte Hosni Moubarak destinait à sa succession. Et c’est un de ses fils qui a bel et bien succédé au Syrien Hafez el-Assad, même s’il a bien mal géré le legs paternel. C’est celui-là même pourtant qui remportait triomphalement hier une parodie d’élection organisée, au son du canon, dans la moitié à peine d’un pays réduit, par ses soins, à l’état de ruines.

La sinistre farce n’en est que plus surréelle quand on y accole le spectacle d’une démocratie libanaise tombée lamentablement en panne. Au lendemain d’une présidentielle avortée, il faut encore attendre de voir si seront observées de tous les règles de fonctionnement de l’exécutif, approuvées hier par le Conseil des ministres. Mais la fronde des syndicats, les examens officiels compromis, la crise des réfugiés syriens qui gagne en ampleur, tout cela pourra-t-il attendre ?