Les parents des soldats et officiers otages des groupes islamistes ont rencontré hier le Premier ministre. Ils ont suspendu leur recours à l’escalade jusqu’au retour de la délégation qatarie, présente à Ersal pour les négociations.
Place Riad el-Solh où ils campent depuis plusieurs semaines, les parents des militaires otages, enlevés depuis la bataille de Ersal qui a eu lieu en août, sont en état d’ébullition. Entre les appels qu’ils reçoivent régulièrement des islamistes du Front al-Nosra et de l’État islamique (EI), qui retiennent leurs fils en otage, les informations plus ou moins précises qui leur parviennent des négociations et les relations intermittentes et souvent houleuses avec les responsables, leurs nerfs craquent. Vers la mi-journée, la mère de l’un des militaires, Khaled Mokbel, s’est littéralement effondrée, menaçant de s’immoler par le feu…
Assise devant l’une des tentes avec les autres parents, Aïcha Mokbel commence à se plaindre doucement, avant de se cacher le visage dans ses mains et de se mettre à pleurer. Tout d’un coup, elle lève les yeux vers le ciel et se met à crier : « Pour moi, c’est mon fils qui compte ! Il est plus important que tous les responsables réunis. Ils veulent clore le dossier ! Ils veulent clore le dossier ! » Puis, sans donner à son entourage le temps de réagir, elle se saisit d’un bidon à moitié rempli d’essence et menace de s’en asperger pour s’immoler par le feu. Il aura fallu l’intervention de plusieurs hommes pour lui retirer le bidon des mains et tenter de la calmer. En pleine crise de nerfs, la mère du soldat Mokbel marmonne qu’elle veut son fils, alors que les autres mères et sœurs d’otages la soutiennent en l’aspergeant d’eau.
À bout de nerfs eux aussi, les autres parents d’otages sont facilement entraînés dans cet élan de douleur. Durant les minutes qui précèdent l’arrivée d’une ambulance devant transporter la femme éplorée vers l’hôpital, le ton ne cesse de monter. Levant le poing vers le Grand Sérail où se tient le Conseil des ministres, ils invectivent les responsables comme si ceux-ci se trouvaient en face d’eux. « Cela fait plus de cent jours que vous nous faites patienter, cela suffit ! » entend-on une femme hurler. « Regardez-les ! Ils ouvrent une fenêtre pour nous regarder. Leur faut-il un drame pour se résoudre à nous écouter ? » lance un homme.
Les femmes sont particulièrement sensibles à la douleur de la mère éplorée. Les larmes baignent très vite leurs yeux déjà enflés par des mois d’attente angoissée. « Je n’ai plus d’espoir qu’en Dieu, certainement pas en ce gouvernement », lance Zeinab Bazzal, mère du soldat Ali Bazzal, à L’Orient-Le Jour. Elle tente désespérément de discipliner sa petit-fille – les enfants sont nombreux dans le camps – tout en gardant un œil sur ce qui se passe.
Nabiha Khoury, mère du militaire Georges Khoury, sanglote tout doucement. « Cela fait exactement cent et un jours que nous sommes dans les rues, nous dit-elle. Nos nerfs sont à bout, notre santé s’est détériorée. À chaque menace, nous nous effondrons un peu plus. Nous sommes à l’affût de la moindre information sur les négociations. Et à chaque fois, c’est l’angoisse. Je ressens toujours des douleurs aux jambes depuis les dernières menaces proférées contre nos fils. »
Salam : Ne vous laissez pas manipuler !
Ces hauts et ces bas font le quotidien des parents d’otages, ce qui explique leurs réactions et leur recours à l’escalade qui n’est jamais « planifiée », selon Hussein Youssef, père de l’otage Mohammad Youssef. La dernière menace d’escalade avait été lancée la veille, quand les membres du Conseil central de sécurité avaient refusé de rencontrer les parents à l’issue de leur réunion. « Nous venions de recevoir un appel téléphonique de l’État islamique, dit-il à L’Orient-Le Jour. Les jihadistes nous ont annoncé qu’ils ne mettraient plus, pour le moment, aucun de nos fils à mort, mais nous ont mis en garde contre les atermoiements dont ils accusent le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim. Nous voulions juste faire parvenir aux responsables les données dont nous disposions. »
Après un ultimatum au ton ferme où ils menacent de recourir à l’escalade au cas où le Premier ministre ne les rencontre pas d’ici à 18h, les parents se sont effectivement calmés après avoir été reçus, et plus ou moins rassurés, par Tammam Salam, remettant un éventuel élan de colère à plus tard. Un porte-parole des parents a déclaré devant les caméras qu’aucune escalade ne serait envisagée jusqu’au retour de la délégation qatarie, qui s’est rendue à Ersal pour négocier avec les groupes islamistes. Il a affirmé que « le Premier ministre a donné des clarifications sur tout le processus de négociations depuis trois mois jusqu’à aujourd’hui, nous prévenant que le dossier n’est traité que par lui-même, le ministre de la Santé Waël Bou Faour et le général Abbas Ibrahim ».
Pour sa part, Tammam Salam a assuré, à l’issue de sa réunion avec les parents d’otages, que « les négociations battent leur plein avec les ravisseurs, mais les résultats positifs escomptés pourraient tarder à se concrétiser ». Réitérant sa solidarité avec les parents, il les a appelés « à ne pas se laisser manipuler au point d’opérer un chantage contre l’État ». « L’affaire est compliquée, a-t-il ajouté. Je la poursuivrai néanmoins jusqu’au bout. Mais je me refuse à donner des garanties ou faire des promesses afin de ne pas induire (les familles d’otages) en erreur. »