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Roulette russe

 

Tout le monde connaît les matriochkas, ces poupées de bois ouvrables, de tailles décroissantes, placées les unes dans les autres, et que le folklore russe désigne comme des symboles de fertilité. Elles font irrésistiblement penser, ces charmantes figurines, aux
(més)aventures du président à houppette côtoyant d’un peu trop près le nouveau tsar. Même le présage de fertilité y est, puisque ce feuilleton, entamé l’été dernier en pleine course à la présidence des États-Unis, promet une belle brassée d’épisodes à venir.

En limogeant fort cavalièrement le chef du FBI, en s’empêtrant dans des explications et motivations contradictoires, en versant même dans l’outrance, Donald Trump donne en ce moment l’impression de jouer sa présidence à la roulette russe. Car aux États-Unis, le directeur de la police fédérale, nommé pour dix ans, est un homme si puissant, si redouté et respecté que seul, dans les annales de la Maison-Blanche, Bill Clinton s’était hasardé à en licencier un; il est vrai que cette perle rare avait piqué dans la caisse. Quant au reste, le célébrissime J. Edgar Hoover, rivé durant près d’un demi-siècle à son poste, mégalomane de génie, raciste, artiste des écoutes téléphoniques et implacable maître chanteur, aura tenu à sa botte non moins de huit présidents américains.

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Méritée ou non (après tout, ce genre de job n’est pas fait pour les enfants de chœur), la réputation de James Comey n’a rien de sulfureux cependant, et c’est une véritable tempête politique qu’a suscitée son renvoi. On y a même vu un début de remake de l’affaire du Watergate qui avait coûté son mandat au président Richard Nixon, coupable d’avoir fait obstruction à la justice en dégommant le procureur qui enquêtait sur ses propres turpitudes. Car c’est à l’évidence pour se prémunir contre des recherches visant, chaque jour un peu plus, sa personne et son proche entourage que Trump a éliminé le fouineur.
Sur Comey, le président ne tarissait pas d’éloges, quand il ne s’agissait que d’accabler sa rivale, l’imprudente Hillary Clinton, utilisant un serveur privé pour son courriel, alors qu’elle occupait les fonctions de secrétaire d’État. Maintenant qu’il enquêtait sur les interférences de la Russie dans la campagne électorale, qu’il réclamait même, à cette fin, une rallonge de budget, le voici devenu un fanfaron, un hâbleur, un bon à rien.

Mais qui aurait imaginé voir un jour un président des États-Unis mettre en garde le fonctionnaire déchu contre toute révélation que ferait celui-ci à la presse? N’a–t-on pas là un personnage qui a bien des choses à cacher, qui se sent morveux et qui, donc, se mouche ? N’est-ce pas se tirer stupidement une balle dans le pied que d’offrir à ses nombreux détracteurs le spectacle d’une ancienne vedette de téléréalité craignant à ce point qu’éclate une compromettante vérité ? Quelle erreur plus flagrante que celle de se mettre à dos la communauté du renseignement intérieur qui, répondant aux insultes faites à son ancien chef, a affiché son estime pour ce dernier ?

Une infortune ne venant jamais seule, l’épreuve se double d’un malentendu absolument imprévu avec cette Russie dont il faut décidément croire qu’elle est omniprésente dans le fulgurant parcours de Donald Trump. En publiant sans autorisation, sans même préavis, les images de Sergueï Lavrov reçu dans le bureau Ovale de la Maison-Blanche – espace réservé aux chefs d’État en visite à Washington –, le Kremlin a réussi un joli coup de pub, à l’heure où les Russes restent l’objet de sanctions américaines ; en revanche, il a embarrassé et courroucé le président, qui estime avoir été proprement manipulé.

Déchiffrer l’imprévisible Trump n’a jamais été tâche facile. Le rébus américain s’enrichit maintenant de l’énigme Poutine.

Issa GORAIEB