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Saad Hariri à Michel Aoun : Des propos apaisants, mais pas de proposition concrète

Décryptage

 

Dans l’attente que se précisent les conséquences sur le Liban de la signature de l’accord international sur le nucléaire iranien, la classe politique continue d’analyser les discours de la semaine dernière. Le camp du 14 Mars s’arrête sur les propos violents tenus par le général Michel Aoun à l’égard du courant du Futur et de son chef, l’accusant, dans plusieurs déclarations, de ne pas avoir tenu ses promesses, alors que le chef du courant du Futur, Saad Hariri, a visiblement cherché à ménager le chef du CPL. Ses attaques et ses critiques, il les a sciemment réservées au Hezbollah et à sa participation à la guerre en Syrie.

Des sources proches du 8 Mars estiment ainsi que le chef du courant du Futur est dérangé par les critiques acerbes du général Aoun pour plusieurs raisons. D’abord, elles le présentent comme un homme qui ne tient pas ses promesses, ou qui n’a pas le pouvoir de décision, même en ce qui concerne son propre camp. Dans les deux cas, il s’agit d’une image négative alors que Saad Hariri a plus que jamais besoin d’imposer sa stature et son leadership au moment où son courant pâtit de plus en plus de son absence prolongée. Ensuite, à travers sa campagne systématique pour les droits des chrétiens, le général Aoun a convaincu une assise chrétienne non négligeable de la justesse de ses revendications, même si tout le monde n’est pas d’accord avec les moyens utilisés pour obtenir gain de cause.

Aujourd’hui, une grande partie des chrétiens pensent qu’effectivement il y a un problème au niveau de la participation des chrétiens au sein du pouvoir et de l’appareil de l’État, et ce problème est essentiellement causé par l’application biaisée de l’accord de Taëf, notamment de la part des représentants sunnites. Même le rapprochement entre le CPL et les Forces libanaises sur les grandes lignes des droits des chrétiens est perçu comme le reflet d’une certaine tiédeur dans les relations entre les Forces libanaises et le courant du Futur, et cette situation ne convient pas à Saad Hariri qui préfère présenter le conflit interne comme une lutte entre les sunnites et les chiites, et plus généralement entre le Hezbollah et le 14 Mars sur l’idée de l’État face à la milice. En cette période précise, où le monde a malgré tout les yeux fixés sur les chrétiens d’Orient, ou ceux qui en restent, Saad Hariri ne souhaite pas être présenté comme celui qui bafoue les droits de cette communauté, lui qui prône la modération…

Pour toutes ces raisons, le chef du courant du Futur a donc préféré ménager le général Aoun dans son discours. Mais tout en ayant recours à des propos apaisants, il n’a rien cédé sur le fond et il n’a présenté aucune initiative pour débloquer l’impasse dans laquelle se trouve le pays, ni sur le plan du dossier présidentiel ni sur celui des nominations militaires et encore moins au sujet d’une loi électorale plus équilibrée. Même dans le dossier des nominations militaires, il n’a pas répondu directement aux accusations de Aoun qui lui avait reproché d’avoir fait lui-même les propositions au cours du fameux dîner qui les avait réunis en janvier dernier. Avant ce dîner, Aoun n’avait jamais déclaré qu’il voulait que le général Roukoz soit nommé au commandement de l’armée, se contentant de refuser une nouvelle prolongation du service du commandant en chef actuel. Le seul élément positif, mais pas nouveau, dans le discours de Saad Hariri, c’est sa confirmation qu’il ne pose de veto sur personne au sujet de la présidence. Ce qui est, quelque part, en contradiction avec les déclarations du ministre de la Justice clairement hostiles à Michel Aoun et avec les informations qui avaient circulé à un moment donné sur l’existence d’un veto saoudien sur la candidature du chef du CPL.

Au sujet des échéances nationales et de tout ce qui n’a pas trait au Hezbollah, Saad Hariri a donc tenu des propos marqués par la modération et l’ouverture. Sans toutefois faire la moindre proposition concrète. Ce qui permet de croire que le courant du Futur et ses parrains ne sont pas encore prêts à faire la moindre concession à l’autre camp, sur aucun dossier. La politique actuelle du chef du courant du Futur serait donc de maintenir autant que possible le statu quo actuel, tout en cherchant à apaiser Aoun pour l’empêcher de descendre de nouveau dans la rue. D’ailleurs, selon des sources proches du courant du Futur, les dernières concertations, qui se sont déroulées à Djeddah entre Saad Hariri et ses principaux lieutenants, notamment l’ancien Premier ministre Fouad Siniora et le ministre Nouhad Machnouk, ainsi que son conseiller Nader Hariri, ont montré des divergences entre d’une part Siniora et Rifi, qui refusent de faire la moindre concession à Aoun, et Nouhad Machnouk et Nader Hariri, d’autre part, qui estiment qu’il faudrait dialoguer avec lui.

C’est pourquoi, dans son discours de dimanche, Saad Hariri a préféré rester dans les généralités, dans l’espoir de gagner du temps, jusqu’à ce que les développements régionaux se précisent. Il n’a finalement pas eu tort, puisque l’accord sur le nucléaire a été conclu au grand dam des Saoudiens, qui ne cachent pas leur malaise à son sujet. Toutes les parties sont actuellement en train de revoir leurs calculs, mais concernant le courant du Futur, la décision appartiendra à Riyad : si ce pays décide de poursuivre la confrontation indirecte avec l’Iran sur les différentes scènes arabes, le Liban n’est pas près de trouver des solutions à ses problèmes. Riyad peut aussi décider de maintenir la confrontation sur certaines scènes, comme la Syrie, et pas dans d’autres, comme le Liban et peut-être le Yémen. Dans ce cas, le Liban pourrait commencer à chercher des solutions. Enfin, un dialogue pourrait s’établir entre Téhéran et Riyad sur tous les dossiers. Ce qui serait la meilleure formule, selon le président de la Chambre Nabih Berry.