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Sabordage des repères

 

L’ÉDITO

 

Ce n’est évidemment pas le premier ni malheureusement le dernier … Les enfants syriens qui sont blessés ou tués sous les bombes du régime Assad ou de l’aviation russe ne se comptent plus et leur nombre atteint des proportions choquantes et abjectes. Si les photos et les vidéos du petit Omran ont fait ces derniers jours le tour du monde, saturant les réseaux sociaux et faisant la « une » de la presse et des médias audiovisuels aux quatre coins de la planète, c’est vraisemblablement parce que le garçonnet de cinq ans laissait transparaître une sérénité et un calme poignants et bouleversants, alors qu’au même moment, autour de lui, tout n’était que mort, ruines, panique et désolation.

Avant Omran, il y eut au début de la guerre syrienne le cas du jeune adolescent Hamza el-Khatib (13 ans à l’époque) qui fut arrêté le 29 avril 2011 et sauvagement torturé dans les geôles du régime. Son corps sans vie et affreusement mutilé fut remis à ses parents dans le but évident de terroriser et de tenter de museler l’opposition pacifique qui allait crescendo. Tout le monde se souvient aussi du cas bouleversant d’Aylan, 3 ans, mort noyé au large de Bodrum, en Turquie, dans le naufrage d’une embarcation de migrants fuyant l’enfer des combats en Syrie.

Il ne s’agit là que des cas les plus médiatisés. Mais la liste est longue, très longue. Il y a quelques jours, l’organisation Amnesty International publiait un rapport sur « les pratiques les plus viles » auxquelles se livrent les tortionnaires de Bachar el-Assad, relevant que plus de 17 700 prisonniers politiques étaient morts sous la torture depuis le déclenchement du conflit en mars 2011, soit 300 par mois (ou 10 par jour) en moyenne.

Parallèlement, les indications fiables se multiplient ces derniers temps au sujet de l’utilisation, à nouveau, d’armes chimiques par les forces loyalistes ou de bombes incendiaires et à fragmentation lors des raids aériens massifs ordonnés par le président Vladimir Poutine et qui visent systématiquement, entre autres, les hôpitaux et les centres de santé.

Face à l’horreur au quotidien, c’est à un mutisme des plus surréalistes et des plus révoltants auquel nous assistons au niveau de l’opinion publique et des instances internationales, à l’exception de la France où le gouvernement vient de souligner que le rapport d’Amnesty International « rappelle une nouvelle fois, après le dossier César, la barbarie du régime de Bachar el-Assad ».

« La guerre c’est la guerre », rétorqueront certains. Certes… Mais lorsque des dirigeants et de hauts responsables politiques occidentaux bien pensants feignent d’ignorer cette sauvagerie à l’état pur pratiquée à grande échelle contre la population civile et qu’ils établissent des rapports normaux avec un tyran tel que Bachar el-Assad, tous les beaux discours deviennent alors caducs. Force est de reconnaître que dans des situations de conflit ouvert, il ne saurait être question, à n’en point douter, de morale et de sentiments. Mais dans le même temps, si l’on accepte de banaliser sans réagir le comportement d’un despote sanguinaire qui massacre sans le moindre scrupule son propre peuple, qui torture des enfants jusqu’à ce que mort s’ensuive, qui liquide par dizaines de milliers des prisonniers politiques ou bombarde aveuglément des quartiers populaires, comment, auquel cas, pourrait-on croire encore dans la sincérité et la droiture de ceux qui, en Occident, ne cessent de nous rabâcher les slogans de défense des droits de l’homme et de préservation des valeurs humanistes ?

Il ne s’agit, certes, pas de prôner un interventionnisme militaire ou l’implication directe dans des conflits armés. Mais accepter, par un mutisme complice, d’absoudre des crimes en série contre l’humanité – comme c’est le cas en Syrie – revient, qu’on le veuille ou pas, à provoquer une grave crise existentielle à l’échelle internationale… Une crise existentielle fondée sur l’annihilation de tout repère, de toute valeur de référence, dans le comportement humain. C’est l’édifice de la civilisation occidentale qui se trouve dans un tel contexte gravement menacé. Peut-on alors s’étonner que ce sabordage des repères crée un terrain fertile facilitant la tâche à ceux qui cherchent à susciter l’égarement des jeunes et l’éclosion d’une violence dépassant tout entendement au sein même des sociétés en Europe, aux États-Unis et dans moult pays dans d’autres parties du monde ?