L’éditorial
De la cocarde tricolore agressée, humiliée, endeuillée, c’est le rouge qui, aujourd’hui, se détache pour prendre la tragique vedette. Le rouge de tout ce sang impitoyablement versé par les terroristes. Le rouge qui réclame justice, qui veut savoir le pourquoi de cette nuit démente qu’a connue Paris, qui exige qu’on lui dise de quoi demain sera fait.
Cette attaque conduite par des kamikazes est la première du genre que subit la France. Survenant au lendemain de la pulvérisation en vol d’un charter russe et de la double explosion de la banlieue sud de Beyrouth, elle annonce aussi une ère de terrorisme de masse visant au meurtre du plus grand nombre possible de civils : guerre de barbares désertant les théâtres du Levant pour se transporter, un peu partout, jusque dans l’intimité d’autrui.
Pour cette raison – et non point seulement parce que la France et ses valeurs républicaines sont chères à leurs cœurs – bien des peuples de par le monde sont, en ce moment, suspendus aux lèvres d’une Marianne meurtrie, et dont la réponse à l’épreuve pèsera lourd sur l’évolution d’une crise désormais planétaire. Singulier demeure néanmoins le cas d’une France qui doit faire face, tout à la fois, à deux types de terroristes : ceux qui arrivent à se glisser dans le flot d’immigrants en suivant diverses filières européennes ; et ces jeunes illuminés bien français, indécelables dans leurs jeans et baskets, pas forcément barbus ou cagoulés, qui se sont laissé séduire par la rhétorique de l’État islamique et qui, mettant à profit les failles policières, s’en prennent criminellement à leur propre pays.
Comme on pouvait s’y attendre, l’hécatombe du week-end dernier n’aura pas manqué de relancer plus d’un débat. Le premier revêt une dimension continentale et promet de raviver les dissensions entre Européens sur la politique d’immigration. Le second est limité à l’Hexagone et l’on y voit se lézarder déjà cet indispensable bouclier qu’est l’union sacrée des citoyens face à l’adversité. Car cette fois, il ne s’agit plus seulement d’opter, comme lors des agressions terroristes passées, entre les impératifs policiers de sécurité et le caractère sacro-saint des libertés publiques : entre, par exemple, un Patriot Act à la française s’ajoutant à d’autres mesures d’exception autorisées par l’état d’urgence qu’a décrété le président Hollande, et l’horreur de toute atteinte à la vie privée.
Fait sans précédent, c’est ainsi la politique étrangère de la France, dans ses deux volets politico-
diplomatique et militaire, qui se trouve en ce moment remise en question par l’opposition, sans que l’on sache trop où finissent les convictions stratégiques et où commencent les considérations politiciennes et électorales. Pour Nicolas Sarkozy, c’est à la légère que les dirigeants parlent de guerre, alors pourtant que la réalité de celle-ci, dûment déclarée d’ailleurs par Daech, crève les yeux. Quant à l’inflexion de la politique française que réclame l’ancien président, l’euphémisme cache bien mal le royal sursis qui serait ainsi offert au boucher de Damas, Bachar el-Assad, sous prétexte de coopération avec la Russie, protectrice du même Assad.
C’est dire que la discussion, appelée à se poursuivre aujourd’hui au niveau des deux Chambres réunies en congrès, risque fort de passer sur l’essentiel : l’essentiel étant que les clivages internes ne doivent pas conduire à enferrer davantage une France déjà prise au piège du sanglant blitz terroriste. Infléchir, comme dit le leader des Républicains, ce serait, sans plus d’artifices sémantiques, céder peu dignement au chantage de Daech. Et résister commande au premier chef une unité interne qui semble avoir fondu bien plus vite que les bougies allumées sur les trottoirs, en hommage aux victimes des kamikazes. Davantage encore que l’émouvant tweet d’Angelina Jolie associant dans une même prière Beyrouth et Paris, c’est cette branlante, cette fuyante unité qui rassemble dans le malheur Libanais et Français.