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« Il est né sous la bonne étoile. » C’est par ces termes qu’un intellectuel et notable de Saïda décrit la victoire escomptée de Mohammad Saoudi. Par « bonne étoile », ce Sidonien signifiait la tristement célèbre crise des déchets qui a fait beaucoup de malheureux dans le pays et, semble-t-il, un heureux.
Président de la municipalité sortant, propulsé de nouveau à la tête d’une liste de coalition de partis, M. Saoudi s’était tout simplement trouvé chef de municipalité au « bon moment » et durant la « bonne crise », assurent plusieurs observateurs.
Signé sous son mandat, le contrat portant sur la réhabilitation de l’ancien dépotoir de Saïda (dont l’exécution a été confiée à Jihad el-Arab, un proche de Saad Hariri, propulsé dans le monde des affaires) a déversé ses « usufruits » dans les urnes, en faveur du président sortant du conseil municipal.
Parallèlement, l’usine de recyclage, mise en place en 2004 par l’ancien chef de la municipalité Hilal Qobrosli, a également fait démarrer ses moteurs il y a à peu près deux ans, soit également sous le mandat de M. Saoudi.
« Il est devenu le héros de la ville à un moment où, de Beyrouth jusqu’au Mont-Liban, les Libanais ployaient sous les ordures un an durant, sans solution », commente le notable avant d’ajouter, non sans un brin d’ironie :
« Au slogan “Merci à l’Arabie saoudite ou au Koweït” ( bienfaiteurs souvent acclamés par les habitants de la ville ), s’est substitué un autre: “Merci aux ordures de Saïda”. »
C’est pour dire à quel point le thème des déchets aura constitué, de manière implicite, le nerf de la campagne menée par la liste dite du « Développement de Saïda ».
Soutenue par le courant du Futur, par Abdel Rahman Bizri, un ancien chef de municipalité qui a rarement eu des atomes crochus avec les haririens, mais aussi par la Jamaa islamiya, la liste a reçu, tout aussi paradoxalement, l’aval plus discret du Hezbollah et du mouvement Amal.
Une coalition on ne peut plus détonnante de par ses composantes, mais qui révèle une même réalité : la présence, une fois de plus, de Mohammad Saoudi à la tête du conseil municipal « arrange tout le monde ».
Lors d’un dîner, la députée de la ville, Bahia Hariri, aurait même dit : « Il n’est pas des nôtres, mais il a exécuté tout ce que l’on souhaitait. » Des propos rapportés par M. Saoudi lui-même, « qui s’était toutefois refusé à commenter » cette phrase lapidaire, raconte un électeur.
Il n’est pas des leurs non plus, pourraient presque ajouter les milieux d’Amal, sauf que le chef du Parlement, Nabih Berry, aurait insisté tout autant auprès de lui pour qu’il se présente une seconde fois.
Une chose est toutefois certaine : le président sortant est largement apprécié d’une large majorité des Sidoniens, notamment pour son profil d’homme d’affaires accompli, peut-être aussi pour avoir réussi, souvent sans le vouloir, à rassembler les contraires « sans s’être trop investi », se plaisent à dire ses pourfendeurs.
« Il a fait du bien à la ville, ne serait-ce que lors de la crise des déchets », confie Loubna, la quarantaine, une des déléguées de sa liste qui se désole toutefois de l’état général de la capitale du Sud, y compris des lacunes au niveau des projets d’infrastructure et de la création d’emplois contribuant « à vider la ville de sa main-d’œuvre ». S’éloignant de ses coéquipiers, elle murmure, la voix teintée de désespoir : « Il y a beaucoup à redire. Je ne peux pas me prononcer plus que cela malheureusement. J’ai besoin de garder mon boulot. »
Donnée gagnante avant même que les électeurs ne commencent à se diriger vers les urnes, la liste « du Développement de Saïda » n’avait pas à s’inquiéter de la liste opposée, « la Voix des gens », parrainée par le chef de l’Organisation populaire nassérienne, Oussama Saad. Ce dernier a brandi le slogan de la « corruption » et de « l’affairisme politique » comme seule arme pour contrer « le bulldozer d’en face ».
« Même si on accepte certaines des critiques adressées aux parrains de la liste opposée, le problème avec M. Saad est qu’il n’a aucun projet de réforme, encore moins de modernité, commente un autre électeur. C’est en quelque sorte une force de stagnation. »
Pour nombres d’analystes, la bataille que mène M. Saad n’est autre qu’une bataille de « poids », voulant s’affirmer dans la capitale du Sud où sa famille, notamment son père, Maarouf, a laissé son ancrage historique, principalement sous la banderole de la résistance arabe, aujourd’hui passée de mode. Selon un observateur local, s’il parvient à « sauver la face » en recueillant ne serait-ce qu’une dizaine de milliers de voix sur les 27 000 qui se sont exprimées hier, « c’est déjà autant de gagné ».
Relativement peu élevé en cours de journée, le taux de participation a pu atteindre les 44,58 % ( contre 55,10 % en 2010 ) avant la fin de l’opération électorale. Bahia Hariri, dont les apparitions télévisées et les appels à l’ordre ont de loin dépassé ceux de M. Saoudi depuis le début de la campagne, a sillonné inlassablement les bureaux de vote, craignant un faible taux de participation qui ternirait la victoire de la liste qu’elle soutient.
Dans les milieux proches de l’organisation nassérienne, la question du « drame » des familles des 2 000 fonctionnaires, au moins, de Saudi-Oger, qui souffre de difficultés financières énormes, s’est indiscutablement répercutée sur le taux de participation. Ces familles auraient tout simplement décidé de boycotter les élections.
« Privés de salaires depuis plus de huit mois, ces employés sont, depuis, bloqués en Arabie saoudite pour des raisons administratives et financières liées à leur statut incertain », commente l’un des délégués de la liste soutenue par M. Saad. Pour les partisans de M. Saad, ce sont donc près de 6 000 à 7 000 voix de manque à gagner pour la liste de M. Saoudi.
C’est également pour s’affirmer, mais aussi « pour briser le monopole des partis », qu’une liste incomplète exclusivement à caractère islamiste s’est constituée, une première du genre. Formée uniquement de 9 candidats sur un total de 21, la liste des « gens libres de Saïda » est principalement soutenue par les partisans du prédicateur islamiste cheikh Ahmad al-Assir. Présidée par Ali Cheikh Ammar, elle n’a pratiquement aucune chance de percer, selon les estimations.
Le plus jeune parmi ses candidats, Ali Iskandarani, résume son ambition et celles de ses colistiers par les deux thèmes de « la faim et de l’injustice », surtout celle commise, selon eux, à l’encontre des « détenus de Saïda », arrêtés dans le cadre des combats de Abra entres les partisans d’al-Assir et l’armée libanaise.