La semaine qui s’ouvre aujourd’hui marque en principe le début de la paralysie totale de l’État avec l’annonce faite par le Courant patriotique libre, jeudi dernier, d’empêcher le Conseil des ministres de prendre des décisions tant que le dossier des nominations à la tête de l’armée et des services de sécurité n’a pas été réglé, conformément à ses conditions.
Le Conseil des ministres ne se tiendra pas cette semaine. Non pas parce que les ministres aounistes ont jugé bon de bloquer son action pour protester contre la décision de leur collègue de l’Intérieur, Nouhad Machnouk, de repousser de deux ans le départ à la retraite du directeur des FSI, le général Ibrahim Basbous, mais parce que le chef du gouvernement, Tammam Salam, a décidé de ne pas le convoquer, afin de ne pas accentuer la tension politique née de la décision aouniste.
Une convocation du Conseil des ministres serait en effet perçue par le parti du général Michel Aoun comme un défi et l’encouragerait à hausser davantage le ton au moment où Tammam Salam est favorable à un règlement dans le calme. Le chef du gouvernement veut donner sa chance aux contacts effectués pour résorber la crise, même si d’aucuns pensent que celle-ci fera long feu.
Deux facteurs font en effet que l’exécutif va parvenir à éviter l’écueil que le CPL lui a posé. Le premier est que le Hezbollah, principal allié du parti de Michel Aoun, ne soutient pas et ne peut pas soutenir l’initiative de celui-ci, parce qu’il a besoin de la couverture politique de facto que lui assure le gouvernement au moment où il est engagé dans une guerre en dehors du territoire libanais. Sans une équipe ministérielle au sein de laquelle il est représenté, le Hezbollah sera considéré comme une simple milice.
Le deuxième est que même si les ministres aounistes se retirent du gouvernement, celui-ci sera toujours considéré comme étant légitime, dans le sens qu’il reste conforme au pacte national grâce à la présence des ministres chrétiens du 14 Mars et du bloc de l’ancien président Michel Sleiman. Il y a lieu de rappeler dans ce contexte que le président de la Chambre, Nabih Berry, avait insisté sur ce point lundi dernier, anticipant ainsi l’escalade dont menaçait le Courant aouniste, avant de la mettre à exécution jeudi.
Demain, mardi, une délégation de la « Rencontre ministérielle consultative » qui regroupe, rappelle-t-on, autour des deux anciens présidents Michel Sleiman et Amine Gemayel, les ministres Boutros Harb, Samir Mokbel, Michel Pharaon, Ramzi Jreige, Sejaan Azzi, Alice Chaptini et Alain Hakim, ainsi que l’ancien ministre Khalil Hraoui, se rendra auprès de M. Salam pour l’assurer de la légitimité du gouvernement si jamais le CPL décidait d’en retirer ses ministres.
Cet entretien sera également l’occasion de soulever de nouveau avec le chef du gouvernement la question du mécanisme d’action au sein du Conseil des ministres, dans la perspective d’une dynamisation de son rendement et pour barrer la voie à des blocages futurs. Il est vrai qu’en l’absence d’un chef de l’État, c’est le gouvernement qui exerce ses prérogatives, mais il n’est pas nécessaire, pour les dossiers en rapport avec la gestion des affaires du pays, que les décrets soient signés par les 24 ministres, estime-t-on dans les milieux de la Rencontre consultative. À moins qu’il ne s’agisse d’une question qui engage le sort du Liban, un décret peut être simplement signé par le chef du gouvernement et par le/les ministre(s) concerné(s).
Si les ministres du 8 Mars s’étaient opposés à ce procédé il y a quelques mois, ils seraient aujourd’hui enclins à l’approuver pour garantir le maintien du gouvernement. Dans cette affaire, le CPL fait cavalier seul. Ni le mouvement Amal, ni le Hezbollah, ni le PSP ne veulent, comme on le sait, une chute de l’équipe Salam.
Même les Marada, alliés du général Aoun, ont laissé entendre qu’ils ne retireront leur ministre du gouvernement que si le Hezbollah prenait les devants. Sur base de cette analyse, on s’attend à ce que le Conseil des ministres reprenne ses réunions à partir de la semaine prochaine ou de celle qui suit.
Parallèlement à la volonté de réviser le mécanisme d’action au sein du Conseil des ministres pour en améliorer le rendement, du côté de Aïn el-Tiné, c’est le blocage du Parlement qu’on essaie de briser. Accompagné du ministre de la Santé, Waël Bou Faour, et du député Ghazi Aridi, le chef du PSP, Walid Joumblatt, s’est rendu hier auprès du président de la Chambre, Nabih Berry, pour un entretien qui a porté sur la paralysie galopante au sein de l’État et sur les moyens de permettre au Parlement de fonctionner de nouveau. Il avait dépêché jeudi à cette même fin M. Bou Faour auprès du président de l’Assemblée. Sans commenter l’escalade aouniste, M. Joumblatt n’a pas caché sa consternation « face à des querelles internes qui font rater au Liban des occasions historiques comme le financement par la Banque mondiale de projets vitaux, comme celui du barrage de Bisri ».
Le chef du PSP, qui a insisté sur la stabilité interne, a notamment discuté avec le maître de Aïn el-Tiné des moyens de reprendre les réunions parlementaires sur base du principe de la nécessité législative. Si d’aucuns considèrent que l’ouverture d’une session extraordinaire de la Chambre ne pose pas de problème du moment que le gouvernement assume les prérogatives présidentielles, la question reste de savoir si Nabih Berry ira jusqu’à tenir compte des observations du 14 Mars et à modifier par conséquent l’ordre du jour des réunions parlementaires. Rappelons que le 14 Mars avait rejeté l’ordre du jour proposé pour la réunion que M. Berry souhaitait convoquer en jugeant qu’il ne correspondait pas au principe de la nécessité législative, parce qu’il ne prévoit pas des textes fondamentaux, comme la loi électorale.
Pour le 14 Mars, la première nécessité reste l’élection d’un président. Les députés Boutros Harb et Fouad Siniora n’ont pas manqué de le rappeler hier, tout en tirant à boulets rouges contre le général Aoun, lui reprochant un « égocentrisme qui risque de coûter cher au Liban et aux Libanais ».