Le feuilleton de la crise des déchets est-il prêt de se conclure ? C’est ce que laissent croire les dernières informations issues des milieux du Sérail après la réunion qui a regroupé hier soir le Premier ministre Tammam Salam, le ministre de l’Agriculture, Akram Chehayeb (qui a hérité de ce dossier de son collègue à l’Environnement) et celui de l’Intérieur, Nouhad Machnouk.
Le bras de fer auquel se sont livrés au départ le mouvement de la contestation civile et le pouvoir autour des solutions à adopter et des sites propices à accueillir plus de 100 000 tonnes de déchets qui s’amoncèlent a fini par être transposé au sein même de la classe politique. Celle-ci aurait ainsi placé le dossier des ordures au cœur même de ses tiraillements internes, le transformant en une carte de pression solvable sur la table des marchandages politiques. Pour faire court : la poursuite du blocage institutionnel pour rétablir la balance des pouvoirs en place, comme le notent plusieurs observateurs.
Cependant, obstrué pendant quelques jours par le Hezbollah dans un sursaut formel de solidarité avec son allié aouniste, à la suite de l’affaire Chamel Roukoz, le parti chiite a toutefois décidé de rectifier le tir en facilitant au gouvernement la désignation d’un site de décharge dans la Békaa. De son côté, le chef du CPL, manifestement informé de l’assouplissement du Hezbollah, a annoncé hier qu’il ne bloquerait pas une réunion du Conseil des ministres autour de la question des déchets, tout en faisant part de la décision du bloc du Changement et de la Réforme de « ne pas retourner au gouvernement » avant la nomination d’un nouveau commandant en chef de l’armée.
Akram Chehayeb est sorti « satisfait » de la réunion au Grand Sérail. Il a annoncé l’examen d’une liste de sites « que les notables de la Békaa » ont soumis au comité ministériel, destinés à être transformés en décharges. « Les notables » de la Békaa ne sont évidemment qu’un euphémisme signifiant le Hezbollah. Ce dernier aurait en effet soumis à M. Chehayeb une palette de choix possibles dont le gouvernement devra en sélectionner un en définitive. Désigné pour examiner quel est le site le plus adapté du point de vue géographique et écologique, un comité d’experts devra en principe remettre son rapport ce soir, ou jeudi matin au plus tard, soit avant la « dernière réunion du comité ministériel » prévue jeudi soir.
Les milieux proches du Premier ministre parlent de « signes encourageants » et d’un « climat positif entre M. Chehayeb et le Hezbollah ». Pour ces sources, une fois le nœud politique défait, il va de soi que la résolution des difficultés techniques suivra naturellement. Se gardant de faire étalage d’un optimisme démesuré, les milieux du Sérail croient toutefois savoir que le Conseil des ministres devrait cependant avoir lieu au cours de la semaine prochaine pour trancher une fois pour toutes le dossier des déchets.
Après l’accord sur l’aménagement d’une décharge à Srar dans le Akkar sunnite – dont les travaux sont d’ailleurs bloqués depuis cinq jours – il restait à trouver son équivalent en terre chiite, soit dans la Békaa sous influence du Hezbollah. La proposition d’installer une décharge à Majdel Anjar ayant été écartée, « les sunnites ayant opposé à ce projet une fin de non-recevoir, refusant d’accueillir les déchets des chiites sur leur terrain », comme le souligne une source proche du dossier, il restait à trouver le juste équilibre communautaire en désignant une décharge en terrain chiite. La localité sera donc déterminée prochainement parmi la liste soumise hier soir par le Hezbollah.
Il paraissait donc normal hier qu’à l’instar du Hezbollah, dont le mot d’ordre pour le moment est à la « redynamisation des institutions », comme l’a souligné hier le député Ali Fayad, le CPL mette aussi de l’eau dans son vin. D’ailleurs, les milieux du parti chiite assurent à qui veut l’entendre que la formation aouniste n’avait pas mis de veto sur la question des décharges, mais « simplement émis des réserves techniques ».
Selon une source du Hezbollah, à l’ombre du chaos qui agite la région, la priorité du parti est aujourd’hui « à la sauvegarde de la stabilité du pays de sorte à lui épargner le feu qui ravage les environs. D’où la nécessité de vaquer à nos problèmes quotidiens, dont la crise des déchets ».
Concrètement, cela signifie que le dossier des déchets est réglable, mais que celui de l’élection présidentielle est relégué aux calendes grecques, en tous les cas jusqu’à ce qu’un règlement régional parvienne à maturation. Selon la source, les acteurs régionaux ne sont pas encore prêts, encore moins les acteurs locaux. « Chacun des protagonistes a mis cartes sur table et exprimé sa position, sauf que le moment n’est pas au compromis ».
Une source proche de la table de dialogue assure à ce propos que le blocage actuel est tel, plus précisément sur la question de l’élection présidentielle, que durant la dernière réunion de la table de dialogue, il y a eu près de 3 minutes de silence assourdissant, suite auxquelles chacun invitait l’autre participant à prendre la parole, pour meubler le vide. « C’est dire la paralysie à laquelle nous sommes parvenus », note la source.
Et pour en revenir à la crise des déchets, il reste à savoir comment réagira le mouvement de contestation civile – lui-même en proie à une dispersion et à des divisions internes de plus en plus notoires – aux solutions suggérées.