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Selon Moscou, la présidentielle reste tributaire d’un rapprochement entre Riyad et Téhéran

 

Philippe Abi-Akl

Les différentes parties politiques attendent avec impatience le retour du patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, pour sonder la position du Vatican par rapport à la présidentielle, le Saint-Siège étant discrètement engagé dans une mission diplomatique dont l’objectif est de débloquer ce dossier, en tentant de le dissocier de celui de la région.

À l’heure où plusieurs parties locales pensent que la présidentielle est tributaire de l’évolution de la situation en Syrie, au Vatican, on croit au contraire que c’est l’élection d’un président au Liban qui pourrait donner le signal d’un règlement dans la région. Le Saint-Siège s’inquiète de la situation dans le pays, devenue à ses yeux intenable à l’ombre d’une paralysie presque totale des institutions qui constitue une menace à la stabilité politique et sécuritaire.

Force est de constater cependant que les avis divergent quant aux éléments qui peuvent favoriser un déblocage au Liban. Pour Moscou, ce n’est pas l’évolution de la situation sur le terrain en Syrie mais un rapprochement irano-saoudien qui peut déboucher sur un déblocage dans le pays.
 

L’intervention russe en Syrie et les réactions qu’elle a entraînées dans les milieux musulmans ont accentué les inquiétudes des capitales qui suivent de près la situation au Liban. Dans ce contexte, plusieurs cercles diplomatiques et politiques au Liban ont porté une attention particulière à la manifestation organisée par des ulémas sunnites devant l’ambassade de Russie à Beyrouth, qui a coïncidé avec la chute d’obus sur le siège de la chancellerie russe à Damas, étant donné leurs implications éventuelles.

Les dirigeants russes ont affirmé à maintes reprises que leur intervention en Syrie ne revêt pas de caractère communautaire et se sont efforcés d’expliquer qu’elle n’est pas dirigée contre les sunnites, au profit des chiites ou des chrétiens. Il reste que dans le monde musulman, elle est perçue comme telle. L’entrée de Moscou dans la guerre en Syrie, quoique par des moyens militaires, « revêt un caractère exclusivement politique et tend principalement à mettre fin à la guerre, à aider à la mise en place d’une solution politique et a rassuré les composantes de la société syrienne, notamment les minorités quant à leur avenir », selon les dirigeants russes.

C’est le son de cloche que le Premier ministre, Tammam Salam, a entendu à New York, au cours de son entretien avec le chef de la diplomatie russe, Serguei Lavrov, en marge de l’Assemblée générale annuelle de l’Onu. Serguei Lavrov a insisté sur le fait que l’objectif de l’intervention militaire de son pays est d’accélérer la mise en place d’une solution politique à laquelle toutes les parties s’associeraient, dont les composantes de l’opposition syrienne. Il a reconnu que Moscou est soucieuse de préserver la présence et les droits des minorités, notamment chrétiennes, et de leur assurer des garanties d’une vie digne, mais à travers un cadre légal constitutionnel applicable à tous les pays de la région où les minorités ont été persécutées. Ce cadre, a-t-il encore expliqué, devrait permettre à celles-ci de participer au pouvoir.
 
Cet exposé avait permis au chef du gouvernement de rebondir sur la présidentielle. Il a expliqué qu’un règlement de la crise au Liban et notamment un déblocage de la présidentielle est pratiquement impossible tant que la guerre fait rage en Syrie entre le régime et l’opposition. Tammam Salam s’est aussi arrêté sur le cadre constitutionnel préconisé par Moscou pour garantir les droits des minorités, en affirmant que ce cadre existe au Liban et qu’il est nécessaire, pour que les vœux de Moscou se concrétisent, d’œuvrer pour garantir l’élection au plus tôt d’un président de la République. Le chef de l’État libanais est un chrétien maronite et représente les chrétiens du Liban et de la région puisqu’il est le seul chrétien à la tête d’un État dans la région, a expliqué le chef du gouvernement qui, poursuivant sur sa lancée, a démontré à son interlocuteur comment l’élection d’un président chrétien au Liban peut aider les chrétiens de la région à rester enracinés chez eux. Il a invité Moscou à user de pressions sur les États concernés par la présidentielle au Liban, notamment l’Iran, pour aider à débloquer la présidentielle.

La réponse de M. Lavrov a été que ce sont les conflits régionaux, notamment entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui empêchent, beaucoup plus que la guerre en Syrie, l’élection d’un président. Il a cependant promis que son pays n’épargnera aucun effort pour essayer d’aplanir les obstacles devant cette échéance, en assurant que ce dossier figure d’ailleurs sur l’agenda des grandes puissances, dans la mesure où celles-ci attachent une grande importance à la stabilité du Liban.
 
Dans certains milieux, on redoute cependant que l’intervention russe ne complique davantage les choses et n’exacerbe le fondamentalisme sunnite, surtout après que le patriarche de Russie eut maladroitement parlé de guerre sainte en Syrie. On craint essentiellement qu’un retard au niveau de la mise en place d’une solution politique dans ce pays n’ait des répercussions en dehors des frontières syriennes, notamment en Russie, en Iran et au Liban, étant donné la « mobilisation jihadiste » contre les Russes, les « Perses » et le Hezbollah.

Sauf que les assurances russes au sujet de la présence du dossier libanais sur l’agenda des grandes puissances font dire à un ancien ministre libanais, qui a eu récemment des entretiens avec un ancien responsable russe en visite au Liban, qu’une activité diplomatique intensive est prévue dans le courant du mois de novembre pour mettre sur les rails un projet de solution en Syrie, dont l’un des volets se rapporte au Liban, grâce à une insistance vaticane sur ce plan. Pour le Saint-Siège, il serait inutile d’encourager les chrétiens de la région à résister et à rester chez eux si cet appel n’est pas associé d’un effort pour élire un président au Liban. Cette élection, étant donné son symbolisme, est de nature à booster les espoirs des chrétiens de la région. C’est ce que le pape François a d’ailleurs affirmé au président américain Barack Obama, au cours de l’entretien qu’il a eu avec lui durant sa visite aux États-Unis.