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L’ÉDITORIAL

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La république des ordures : c’est sous ce titre peu valorisant qu’un grand quotidien étranger rendait compte récemment du pestilentiel environnement qui, depuis plus d’un an, est le lot de notre pays. Ce journal se référait seulement aux montagnes de déchets qui ont envahi nos rues et nos campagnes. Peu de Libanais cependant se montreront aussi charitables : pour ceux-là en effet, c’est surtout dans une bonne portion de la classe dirigeante que sévit la puanteur.
Tous les responsables ne sentent pas fort, bien sûr. Dans le magma gouvernemental, on trouve même quelques hommes de bonne volonté qui gèrent plus que convenablement – et même parfois brillamment – leurs départements. Il reste qu’en l’absence d’un président, et à l’ombre de la règle dite consensuelle, chaque ministre peut parfaitement se prendre pour un président détenteur du droit de veto : ou bien, plus modestement pour un diplomate hors pair, un génial spécialiste des questions militaires ou encore une sommité du droit constitutionnel.
De tous ces stratèges de pacotille que l’on voit s’affronter sur les ruines de l’État, les citoyens n’ont jamais attendu grand-chose. Plus grave encore, ils n’attendent plus rien désormais de ceux censés précisément les aider à supporter tout le reste. Voirie, courant électrique, eau elle aussi courante, télécommunications dignes du XXIe siècle, routes praticables et sûres : autant de frustes nécessités qui rendraient vivable tant de médiocrité ambiante.
Or c’est paradoxalement en matière de services publics que ces hauts personnages oublient qu’ils sont, par définition, les serviteurs du public. Certains ne servent à rien; et d’autres croient visiblement qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. Depuis la fin de la guerre, il y a plus d’un quart de siècle, des sommes astronomiques ont été dilapidées pour la réhabilitation d’un réseau électrique demeuré rachitique. Adjudications, contrats et dessous de table tout aussi suspects continuent imperturbablement de se traduire par des routes truffées de nids-de-poule et d’autant plus dangereuses que la police routière brille par son absence.
Dans une ambiance aussi délétère, comment ne pas déceler, dans la pestilence des amas d’ordures, de puissants relents de gros sous ? C’est un fort consistant pactole que se disputent âprement les blocs politico-financiers en lice pour la succession de l’actuelle société de ramassage. Celle-ci a bénéficié, c’est vrai, d’un long monopole ainsi que de tarifs sujets à contestation ; mais du moins les rues étaient-elles propres. À ses challengers on reconnaîtra volontiers le droit de lorgner, eux aussi, le nauséabond mais juteux marché. On leur déniera en revanche celui de provoquer une interminable crise avant d’avoir proposé une alternative valable, du moment qu’ils convoitent des tarifs encore plus exorbitants.
On ne leur pardonne surtout pas d’avoir, à cette fin, pris la population entière en otage.