Palestine, tu n’es pas toute seule !
C’est sous ce généreux slogan que toutes les chaînes de télévision locales présentaient, lundi, un journal du soir unifié entièrement dévolu au martyre qu’endure la cité de Gaza écrasée jour et nuit par les bombes israéliennes. Ce bulletin réalisé et diffusé en pool est le premier du genre au Liban, l’idée en ayant été avancée, assez curieusement, par un distingué confrère de la presse écrite. Cette initiative a été très diversement accueillie cependant, à en juger par le flot de commentaires en flèche qui a aussitôt inondé les réseaux sociaux.
Opportune, certes, était cette manifestation cathodique de sympathie et de solidarité avec l’infortuné peuple palestinien qui, l’espace d’une demi-heure, a (ré)uni dans un même élan des chaînes rivales, et même souvent ennemies. Combien ont-ils raison pourtant, tous ceux qui pensent – et qui l’ont dit, vertement parfois, sur Facebook ou Twitter – que charité bien ordonnée commence par soi-même. Que ce qui vaut pour la Palestine vaut bien pour le Liban. Que c’est devant sa propre porte qu’il convient de balayer d’abord, surtout quand il y a tant à balayer. Et qu’il est vraiment trop facile de se donner bonne conscience à l’aide de belles envolées verbales sur fond d’éruption à Gaza.
Balayer, ce serait, pour commencer, privilégier le professionnalisme par rapport à l’activisme, l’information face à la propagande. Nombre de nos médias relèvent plus ou moins directement de parties politiques, ils ont leur sensibilité propre, et ils ne se font pas faute de caresser leur public dans le sens du poil. Rien là que de tristement normal, après tout, dans un pays aussi profondément fracturé que le nôtre. Le malheur, c’est quand au lieu de prêcher, vaille que vaille, le dialogue et l’entente nationale, ils recourent à un discours incendiaire alors que brûlent tout alentour la Syrie, la Palestine et l’Irak, et que les flammèches ne se contentent plus de lécher la maison libanaise.
Ce n’est plus seulement affaire d’éthique professionnelle mais de sauvetage en grande urgence et il y a tout, cette fois, à sauver. Tout, c’est l’intégrité du territoire national, à l’heure où valsent les frontières des accords Sykes-Picot ; c’est notre formule de coexistence intercommunautaire dans une région du monde peu à peu dépeuplée de ses chrétiens par la montée des fanatismes ; c’est une certaine manière de vivre qui confère elle aussi à ce pays son caractère unique ; c’est la paix civile et la sécurité publique, menacées par les retombées du conflit de Syrie ; c’est les institutions étatiques en voie de déliquescence, de disparition, avec cette vacance prolongée de la présidence de la République que vient aggraver encore la médiocrité d’un Parlement incapable même de se renouveler dans les règles ; c’est l’économie du pays, minée aussi bien par l’affairisme politique, le gaspillage et les cascades de grèves…
Pas seuls les Palestiniens, vraiment ? Jusqu’à nouvel ordre, ce sont seulement des Libanais eux-mêmes divisés sur tout le reste, barricadés dans leurs singulières solitudes, qui l’assurent.