La déclaration de Baabda, avec ses 17 points fondateurs adoptés à l’issue de la séance de dialogue national en juin 2012, est de moins en moins évoquée dans les discours politiques internes.
Plusieurs raisons l’expliquent. Il y a d’abord le départ de l’ancien président de la République Michel Sleiman, gardien de cette déclaration, qui lui avait valu une vive confrontation avec le Hezbollah.
À cela s’ajoute l’insertion du document, mais seulement de manière indirecte, dans la déclaration ministérielle actuelle. La formule édulcorée de « l’appui à toutes les décisions ayant émané des précédentes tables de dialogue » a ôté à la déclaration de Baabda un support officiel direct.
Enfin, l’attente prolongée que subit le pays pourrait finir par minimiser les principes visant à consolider les institutions. La décision ministérielle d’occulter, sinon de retarder les polémiques, par crainte de nouveaux blocages, finit par favoriser une situation de faits accomplis, comme l’est devenue la participation du Hezbollah aux combats en Syrie, ou le boycottage des séances électorales, ou encore le laisser-faire face à la présence des réfugiés syriens.
Mais l’état de déliquescence n’empêche pas certaines tentatives d’initier de nouvelles dynamiques, obéissant à des politiques qui ne font pas l’unanimité nationale.
Il en est ainsi du « silence » observé sur la déclaration de Baabda par la délégation diplomatique libanaise à New York, en septembre dernier. Le résultat est le suivant : le texte des résolutions de la réunion du Groupe d’appui international au Liban ne déclare pas, comme il l’avait fait un an auparavant, son appui à la déclaration de Baabda. Cet appui a été substitué par une expression sans effet, ainsi formulée : « Plusieurs parties ont évoqué leur appui à la déclaration de Baabda. » Nouvel acheminement vers l’oubli de la déclaration de Baabda : la perte progressive de son appui à l’échelle internationale.
L’ancien président de la République Michel Sleiman avait pourtant érigé cette déclaration en principe en deça duquel aucune politique présidentielle ne serait acceptable.
Dans une déclaration dimanche dernier, il avait dénoncé « une tentative de biffer la mention déclaration de Baabda des résolutions de la réunion du Groupe de soutien international au Liban ». « J’ai été informé de cette tentative. Je la déplore et je m’interroge : pourquoi a-t-on fait cela et pour le compte de qui? » avait-il lancé.
Dans une interview express à L’Orient-Le Jour, l’ancien chef d’État reste confiant. « Certes, on ne peut pas dire que la situation s’améliore, mais cela ne signifie pas une dévalorisation des précédents acquis », déclare-t-il. Il répond par la négative à la question de savoir si la volonté d’effacer une fois pour toutes la déclaration de Baabda a désormais trouvé un appui concret. « Je l’ai dit et je le répète : les parties qui refusent aujourd’hui ce document finiront tôt ou tard par en revendiquer l’application. La déclaration de Baabda ravive l’esprit de Taëf, elle est Taëf », souligne-t-il.
Rappelons que le document de Baabda réaffirme « la confiance dans le Liban et dans la formule de coexistence », ainsi que l’attachement à l’accord de Taëf (alinéas 10 et 11). Il comporte en outre des points de repère politiques : « Tenir le Liban à l’écart de la politique des axes et des conflits régionaux ; œuvrer à maîtriser la situation le long de la frontière libano-syrienne; s’engager à respecter les résolutions internationales, y compris la 1701 » (alinéas 12, 13 et 14).
Alors que le chef de la diplomatie libanaise a démenti s’être opposé à l’insertion de la déclaration de Baabda dans les résolutions du GIA à New York, il n’a pas non plus déclaré son appui explicite au document. L’on croit savoir qu’il s’est abstenu de s’exprimer sur ce point lors de la rédaction du texte des résolutions, quand bien même il dit soutenir le principe de distanciation. Son refus implicite de la déclaration de Baabda, relayé par le mutisme du Premier ministre, également présent à la réunion, aurait été décidé préalablement à Beyrouth.
L’on croit savoir en outre qu’une formule similaire à celle de la déclaration ministérielle a été proposée au GIA. « Quel intérêt d’engager un groupe international en faveur de toutes les décisions ayant émané de nos conférences de dialogue? » s’interroge le président Sleiman, dénonçant « une volonté inavouée de lutter contre la déclaration de Baabda ».
Il déplore tout autant « le silence des autres », tout en veillant néanmoins à se poser au-delà des polémiques. À la question de savoir qui, aujourd’hui, est le garant de la déclaration de Baabda, il répond que « cette déclaration est sa propre garante ».
Interrogé sur le rôle que le Premier ministre pourrait remplir, le président Sleiman répond que « le rôle le plus important que remplit le chef du gouvernement se situe dans son attachement à la nécessité d’élire un président de la République ».
Profondément convaincu de l’aboutissement éventuel des efforts de bâtir les institutions, Michel Sleiman propose une première démarche dans ce sens, pour ébranler l’immobilisme : « Concéder à proroger le mandat parlementaire, à condition de contraindre les députés à élire immédiatement un président de la République. Les députés qui ne se rendent pas à la séance électorale seraient considérés démissionnaires, et le quorum des deux tiers sera calculé sur la base du nombre restant. » Cette méthode résume l’approche adoptée par le président Sleiman : même sans moyens matériels, l’autorité morale de l’État doit continuer de s’exprimer, de persister, ne serait-ce que pour empêcher un inversement des valeurs fondamentales.