IMLebanon

Son Excellence Personne

Vous avez dû noter, au gré de vos séries policières télévisées, que dans les salles d’interrogatoire des commissariats, on retrouve inévitablement deux genres de flics : les gentils et les méchants. À tour de rôle, et chacun dans son style propre, ils s’acharnent à cuisiner le suspect pour l’amener, en fin de compte, à baisser les bras, à avouer tout ce que l’on voudra.
Hassan Nasrallah n’est pas flic, mais chef de milice. Et en dépit de son aspect avenant, il n’est pas spécialement gentil, à en juger du moins par le gros de ses interventions publiques. On l’y voit souvent en effet tonner de la voix et brandir un doigt menaçant ; mais on peut tout aussi bien le voir arborer un calme olympien susceptible (tout étant relatif) de passer pour de la modération.
À son tour, Naïm Kassem est peut-être, dans le privé, la plus charmante des personnes. C’est néanmoins au numéro deux du Hezbollah que revient la tâche d’expliciter, sans plus de fioritures et même brutalement au besoin, la ligne de ce parti qui – au diable l’avarice – se veut celui du Créateur. De mettre les points sur les i. D’enfoncer dans le crâne de ceux qui n’avaient rien compris le fond de la pensée du maître.
C’est Michel Aoun ou alors personne, s’évertuait à nous dire Hassan Nasrallah, à chaque fois qu’il abordait la question de la vacance présidentielle. La formule a du moins le mérite d’être rigoureusement logique, puisque c’est essentiellement aux députés hezbollahis et aounistes que l’on doit le boycottage des 24 séances parlementaires déjà convoquées aux fins d’élire un chef de l’État. Pour un peu, on irait jusqu’à remercier Nasrallah d’en rester là, sans passer à la suite. Car désormais, c’est Aoun ou bien alors le saut dans l’inconnu, pour ne pas dire le chaos, comme se dévoue pour nous en faire part son adjoint : c’est Aoun ou le vide jusqu’à Dieu sait quand, affirmait-il ainsi lundi, prêtant en exclusivité au général la capacité, entre autres généreuses prestations, de distribuer assurances et garanties et de faire appliquer l’accord de Taëf.
Le rêve, quoi. Encore qu’on peut se demander si tout cela correspond exactement aux fantasmes présidentiels du général lui-même. De celui qui se présente comme le champion des droits des chrétiens, on sait en effet qu’il ne pense pas le plus grand bien de la Constitution de Taëf, laquelle a considérablement réduit les prérogatives du président maronite. Il doit se douter que les mêmes chrétiens seraient les premiers à pâtir d’une lente mais régulière déliquescence de la fonction présidentielle. Qu’à son tour, une présidence réduite à l’état de fossile rendra inévitable une renégociation du pacte national de 1943 dans des conditions rien moins que favorables pour les chrétiens. Que l’exigence, plus que probable à ce moment-là, d’un partage du gâteau étatique en trois tiers fera un sort à la règle de la parité islamo-chrétienne.
Il est bien loin, le rêve. Et il est grand temps pour le chef du Courant patriotique libre de se poser, comme un peu tout le monde, certaines questions. La tirade de Naïm Kassem à la gloire de Michel Aoun n’était-elle pas en réalité un cadeau empoisonné ? Et entre le général et personne, est-il certain que le Hezbollah préfère le général ?