IMLebanon

Sous le sable

Entre le catwalk d’Élisabeth Windsor-Mountbatten, plus sémillante que jamais, le chewing-gum très George W. d’un Barack Obama en plein sevrage de nicotine mais assez redneck, la démarginalisation soft d’un Vladimir Poutine dont l’ego commençait sérieusement à craqueler, et le bonheur boulimique, très quart d’heure warholien du président français le plus impopulaire de l’histoire, elle aura été la plus discrète.

Presque comme d’habitude et malgré tous ses efforts. Elle est pourtant la femme la plus puissante du monde. Mais au cœur de cette Normandie matrice planétaire pour trois jours; au cœur de cette émotion gargantuesque et qui bat toujours la chamade, soixante-dix ans plus tard ; au cœur de ces hommages tous azimuts, aux boys comme aux civils, tous les civils, même ces filles victimes de l’appétit sexuel broyeur des soldats libérateurs mais surtestostéronés et dont s’est rappelé, judicieusement, François Hollande, ce sont ses mots à elle, elle l’ex-nageuse de cette RDA métallisée et glaciale, übercartésienne et presque robotisée, qui auront été les plus forts, les plus impressionnants. Les plus courageux.

S’il ne devait rester qu’eux : Le 6 juin 1944 n’est pas le jour de la libération définitive, mais c’est le jour du début de la libération, qui nous permet d’exprimer notre gratitude vis-à-vis des énormes sacrifices consentis par les Alliés pour nous libérer du nazisme. Voilà ce qu’a dit Angela Merkel. Scientifique, claire, nette, au scalpel, loin de l’affect et du lyrisme (de bon aloi certes mais finalement assez convenus et pas si audacieux que cela) du président américain, très Oncle Sam pataud dans une superproduction hollywoodienne, et de son homologue français, mi-Lamartine mi-Bree Van de Kamp célibataire.

Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit : du fascisme. Ce n’est finalement que sur ses ruines qu’une démocratie, ou la démocratie dans sa conception la plus primitive, la plus originelle, peut (re)naître. Et se réinventer. En 1944, cet été-là, à partir de ce jour le plus long là, l’Occident, aidé ensuite par les divisions infinies de Staline, est venu suicider une partie de lui-même, métastasée jusqu’à la moelle : l’Allemagne. Grâce à cette autoamputation, grâce à ces millions de morts, l’histoire et la géographie ont pu retrouver leur cours normal, naturel, sain. Et l’humanité avec elles.

Soixante-dix ans plus tard, dans cette même Europe qui a parfois du mal à tirer les leçons de son passé, la démocratie, toutes proportions gardées, est de nouveau bousculée, violentée, boxée. Soixante-dix ans plus tard, ce n’est plus un homme, un parti ou un pays qui inquiètent, mais un conglomérat, une multinationale de partis européens d’extrême droite, à commencer par le Front national français, déterminés à créer, au Parlement de Strasbourg, un magma de vingt-cinq députés de sept nationalités différentes. Pour pouvoir commencer à essayer d’enrayer la machine. Soixante-dix ans plus tard, la nécessité d’un débarquement commence à se dessiner, pas militaire, bien sûr, mais civique, citoyen, moral, éthique, social, culturel et politique, que devront effectuer un jour, tôt ou tard, les Européens eux-mêmes.

Qui n’ont pas, loin de là et tant mieux pour eux, le monopole de la bêtise. La démocratie, c’est aussi le droit institutionnel de dire des bêtises : s’il avait jeté un œil sur le Liban en 2014, François Mitterrand aurait rajouté : et d’en faire. Elle est en piteux état, cette pauvre démocratie, au Liban, et avec elle, tous ses appendices : la nation, l’État, le droit, la loi, les institutions, la Constitution, tout. Le fascisme a ce gène mutant qui le rend redoutable, presque invincible : il ne connaît ni frontières, ni races, ni religions. Et c’est à l’aube d’un IIIe millénaire qui avait pourtant bien démarré, entre retrait israélien du Sud et premier communiqué des évêques maronites sous la houlette du presque irremplaçable patriarche Sfeir, que ce fascisme made in Lebanon a montré d’abord le bout de son nez, puis son corps (juillet 2006), puis son (vrai) visage (mai 2008), puis toute son ampleur, toute son amplitude (guerre en Syrie aux côtés du gang Assad et blocage total de la chose publique au Liban).

Cela fait plusieurs années que le Hezbollah a pris la démocratie en otage et il est quasiment sur le point de la dynamiter. Les printemps et autres tables de dialogue ayant montré toutes leurs limites, c’est d’un débarquement dont ce pays a aujourd’hui besoin, comme celui de l’été 44, mais un débarquement de l’intérieur, endogène, libanais. Le discours de ce 6 juin de Hassan Nasrallah est un Everest de menaces, de défis, d’arrogance.
De fascisme.