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Sousse Academy

Tout commence à l’école. Cela, les Tunisiens, déjà auteurs de plus d’une première, sont aussi les premiers à l’avoir compris. C’est chez eux qu’avait vu le jour un printemps arabe sacrément contagieux. C’est chez eux, de même, que ce très singulier changement climatique a fait le moins de victimes et de dégâts. Et c’est encore chez eux qu’une démocratie balbutiante a su se poser en modèle en conjurant, aux moindres frais, ces maladies de jeunesse qui, invariablement, ont affecté – et infecté – toutes les révolutions arabes.
Bien sûr, le tableau n’est guère parfait pour autant. C’est de Tunisie que provient en effet le gros des volontaires allant rejoindre, qui en Syrie et qui en Irak, Daech, al-Nosra et consorts. Et bien qu’échaudées par l’attentat du musée du Bardo, les autorités de ce pays qui vit essentiellement du tourisme se sont à nouveau fait prendre culotte baissée lorsque, vendredi dernier, un forcené massacrait au fusil d’assaut une quarantaine de vacanciers dans une station balnéaire de Sousse avant d’être lui-même abattu.
Ce qui vaut tout de même aux Tunisiens un coup de chapeau renouvelé, c’est le courage, sinon l’audace, dont ils viennent de faire preuve en se décidant à prendre le taureau par les cornes, à extirper le mal par la racine. Bien plus effective, dès lors, que tous les dispositifs policiers mis en place au lendemain du carnage de Sousse, promet d’être la fermeture de 80 mosquées se dédiant non point à la bonne parole mais aux appels au fanatisme, à la haine, à la violence.
Absolument sans précédent est une aussi drastique mesure. Non seulement elle est décrétée dans un pays musulman, mais de surcroît, elle est le fait d’un gouvernement au sein duquel cohabitent deux partis de tendances ici laïque, et là islamiste. Lesquels ont précisément compris que tout commence à l’école, dans ces lieux de prière transformés en pépinières de terroristes. Reste à savoir cependant si le tandem formé d’Ennahda et de Nida’a Tounés fera école dans un monde arabo-musulman, lui-même première victime du cancer jihadiste, mais dont les dirigeants sont enclins à la parole plutôt qu’aux actes concrets.
Le plus navrant, c’est que l’Occident, à son tour, n’échappe pas toujours au ravage des mots. George W. Bush évoquait une guerre de civilisations, se laissant même aller à parler de croisade contre le terrorisme. En France, et après Nicolas Sarkozy qui évoquait une guerre à la civilisation, Manuel Valls a eu droit à une volée de bois vert en tâtant de ce même registre, propre au célèbre (et controversé) ouvrage du professeur Samuel Huntington, Le Choc des civilisations.
Qu’il y ait guerre, c’est indéniable, et Daech ne s’est pas fait faute, d’ailleurs, de la déclarer explicitement aux démocraties ; mais bien que l’intéressé se fut défendu de tout amalgame, ses propos ont paru offrir aux égorgeurs le statut ô combien immérité de civilisation. Lundi, le Premier ministre français sauvait la mise en affirmant que le mot de civilisation aurait dû être lu dans sa forme originelle, c’est-à-dire au singulier, par évident contraste avec la barbarie.
Manuel n’est pas un disciple de Samuel, on veut bien. Mais ce n’est pas avec un malheureux s en plus ou en moins que peut être traitée la tragique indécision stratégique des puissances face au fléau.