Cinq mois. C’est le temps, record, qu’il aura fallu à Recep Tayyip Erdogan pour « corriger » les résultats du scrutin de juin dernier à l’issue duquel son Parti de la justice et du développement (AKP) avait perdu sa majorité absolue. Une première depuis 2002. Dimanche, contre tous les pronostics, l’AKP a raflé 49,4 % des suffrages et la majorité absolue au Parlement. Le lendemain, le président turc célébrait son succès en priant à la mosquée d’Eyup. Celle-là même où se rendaient les nouveaux sultans de l’Empire ottoman…
S’ils ont salué le « vaste éventail politique » offert aux électeurs, les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont néanmoins critiqué le climat de « violence » dans lequel se sont tenues les législatives.
Entre le 1er et le second scrutin, le pouvoir a relancé la guerre contre les Kurdes du PKK ; le pays a été le théâtre d’une série d’attentats sanglants, dont certains ont visé des rassemblements prokurdes ; des bureaux du HDP, une formation kurde modérée qui avait réalisé une percée spectaculaire en juin, ont été la cible d’attaques et ses membres d’intimidations.
La campagne n’a, en outre, pas été équitable, notent les observateurs. Foulant au pied son devoir d’impartialité, le président s’est totalement investi dans la course électorale, alors que son parti bénéficiait d’un accès privilégié aux télévisions. Parallèlement, certains médias de l’opposition ont été la cible d’opérations de musellement musclées : quatre jours à peine avant le scrutin, la police investissait le siège de deux chaînes de télévision proches de l’opposition mises sous tutelle judiciaire. Et lors de la campagne, des locaux du quotidien Hurriyet ont été attaqués par des partisans de l’AKP.
Cette boîte à outil (le « chaos ou moi » ; pressions sur les médias, les ONG, les opposants ; contrôle de la justice, de la police…) n’est pas sans rappeler celle d’un autre leader aux rêves d’empire, Vladimir Poutine, chantre d’une démocratie réduite à un passage périodique aux urnes, sur fond de dérive autoritaire.
Au-delà de leurs stratégies en période électorale, les deux hommes, au pouvoir depuis des années, se retrouvent autour d’un conservatisme moral et d’un discours d’exaltation de la fierté nationale se construisant en partie sur un rejet de certaines valeurs occidentales.
Même sur les sujets qui fâchent, comme la Syrie, Poutine et Erdogan activent, finalement, des stratégies quelque peu similaires : quand le Russe utilise la carte de l’État islamique pour conforter Assad, le Turc l’utilise pour bombarder les séparatistes kurdes. De même, quand Poutine se place en acteur incontournable d’une résolution de la crise syrienne, Erdogan fait de même sur le dossier des réfugiés syriens qui affluent aux portes de l’Europe.
Maintenant qu’il est seul à la barre, qu’il a remporté son pari, Recep Tayyip Erdogan est face à une alternative : poursuivre sa dérive autoritaire, sur le mode poutinien, ou jouer une autre carte, celle du trait d’union, notamment entre les blocs occidentaux et musulmans. Cette option implique de mettre fin à la stratégie de la peur, de la tension, de la polarisation et de la répression, qui, si elle peut mobiliser, un temps, les électeurs, fait fuir les investisseurs. Erdogan gagnerait en outre peut-être beaucoup plus d’une Europe aux abois déjà prête à beaucoup pour que le sultan se fasse aussi garde-frontières, en redonnant un peu d’air à la démocratie.