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Surfer avec le diable

Une défaite irréversible attend l’État islamique : c’est ce qu’assurait, lundi à Koweït, le nouveau secrétaire américain à la Défense Ashton Carter devant un parterre de généraux, de chefs du renseignement et de diplomates représentant le gros de la Coalition internationale contre le terrorisme. On ne demande qu’à le croire, bien sûr, même si on a bien du mal à déchiffrer la stratégie de l’administration Obama.
En attendant la victoire annoncée, ce qui menace réellement de s’avérer irréversible, c’est cette crise de civilisation qui affecte les pays occidentaux. C’est ce vent de folie qui draine vers les théâtres embrasés du Moyen-Orient des milliers de leurs ressortissants, surtout des jeunes. Longue promet d’être en effet la guerre lointaine contre Daech, menée essentiellement à l’aide de frappes aériennes, et dont l’issue ne pourra être scellée qu’au prix d’interventions terrestres. Les avions de la Coalition, auxquels viennent de se joindre les Rafale français embarqués à bord du porte-avions Charles de Gaulle, ont beau déverser des tonnes de pesticide, il est évident en effet que seule une vigoureuse opération de sarclage pourra venir à bout de la mauvaise herbe qui prolifère dans les déserts d’Irak et de Syrie. Dès lors, l’annonce américaine d’une offensive de l’armée irakienne en avril-mai pour reprendre la ville de Mossoul ne convainc guère : elle demeure tributaire en effet du degré de préparation qu’auront atteint, à cette date, les troupes de Bagdad.
Pire encore, le ver est désormais dans le fruit et on peut regretter que les capitales occidentales et autres ne s’en soient pas aperçues à temps. C’est aujourd’hui seulement que se succèdent les mesures drastiques, qui constituent autant de premières jugées historiques : citoyens australiens déchus de leur nationalité ; Français dessaisis de leurs passeports et autres pièces d’identité, sur fond de frictions entre les associations juives et musulmanes de l’Hexagone ; procès en Norvège, ouverts contre des individus suspects de soutien au terrorisme ; rafles monstres en Tunisie ; démantèlement, en Espagne, d’un vaste réseau de recrutement de jeunes femmes pour le compte de l’État islamique ; et en Grande-Bretagne, séances de psychanalyse nationale pour essayer de comprendre comment trois candidates au jihad ont pu fuguer en Turquie, et de là en pays Daech, alors qu’elles passaient pour être parfaitement intégrées : normales, quoi…
Or il n’est nul besoin d’être psychologue pour pressentir qu’à l’origine, les recrues d’importation engrangées par les terroristes ne sont pas forcément toutes des paumés, des laissés-pour-compte ou des désaxés rêvant de donner quelque sel d’aventure à leur triste existence. Les terroristes ratissent bien plus large, et de l’avis unanime des experts, ils semblent manier avec une diabolique dextérité ces indécelables outils d’endoctrinement, de bourrage de crâne, que sont les réseaux sociaux. Le high-tech au service de l’obscurantisme le plus abject, tel est bien le paradoxe de notre temps, que préfigurait déjà la meurtrière équipée des aviateurs kamikazes du 11-Septembre. Loin des regards parentaux, c’est dans l’intimité de leurs chambres, penchés sur leurs tablettes électroniques, que bien des jeunes sont exposés au virus.
Mais qu’en est-il des sociétés arabo-musulmanes ? Tout commence à l’école, et c’est là où il faut saluer la courageuse initiative du cheikh d’al-Azhar, l’une des plus prestigieuses instances de l’islam sunnite ; lors d’un séminaire religieux à La Mecque, ce dignitaire a dénoncé les mauvaises interprétations du Coran et appelé à une profonde réforme des programmes scolaires pour faire échec à l’extrémisme religieux. Même notre Liban multiconfessionnel n’est pas à l’abri des criminelles atteintes à l’innocence de l’enfance ; témoin en est ce culte du martyre arboré par des bambins, que donnent à voir, trop souvent hélas, certaines chaînes de télévision locales. Des chaînes tapageusement vouées, pourtant, à la lutte contre Daech…