Le Parrain Un et puis le Parrain Deux : c’est la sinistre saga du clan Assad, entrecoupée de vertigineux flash-back, que retrace, ces jours-ci, Walid Joumblatt devant le Tribunal spécial pour le Liban saisi de l’affaire Rafic Hariri
Son témoignage, c’est vrai, renferme peu de révélations inédites sur le sanguinaire palmarès d’une dynastie baassiste qui, dans ses deux épisodes – père et fils –, a multiplié les liquidations, tantôt individuelles et tantôt de masse. C’est de toute première main, cependant, que se trouvent réunis cette fois les éléments du sombre tableau. Aux pinceaux, en effet, un homme occupant depuis des décennies une position unique au centre de l’échiquier politique libanais. Un homme qui, pour des impératifs de survie, tant physique que politique, s’est trouvé contraint de coopérer longtemps avec les assassins de son propre père, Kamal Joumblatt, tué il y a 38 ans. Un homme doté d’une exceptionnelle patience et qui, en attendant son heure, aura appliqué à la lettre ce vieil adage druze : La main que tu ne peux affronter, baise-là en lui souhaitant de se rompre…
Les derniers revers militaires de la dictature syrienne le montrent bien : elle serait déjà en morceaux, ladite main, n’était l’intervention, chaque jour plus fiévreuse, plus massive, des secouristes iraniens et de leurs porte-civières libanais. À la rescousse des tueurs en série, voici que se dévoue une fois de plus cet impénitent fauteur de guerres, le Hezbollah. En 2006, celui-ci tâtait d’une dévastatrice confrontation avec Israël (dévastatrice surtout pour le Liban), ce qui ne l’empêchait guère de revendiquer une divine victoire. Engagé dans le conflit de Syrie, c’est à la même prise d’otages qu’il s’est livré, attirant sur le pays les foudres des groupes jihadistes. Or, voici maintenant que les enchères montent, avec l’approche d’une bataille tant de fois annoncée : celle du Qalamoun, versant occidental de l’Anti-Liban, dont le contrôle est devenu proprement vital pour la dictature syrienne. Après les vociférations et roulements de tambour de l’hiver, après les très médiatisés bruits de bottes et cliquetis d’armes des dernières semaines, l’heure H approche, comme le suggèrent les premières et violentes escarmouches signalées lundi.
La fonte des neiges est bien entamée sur les hauteurs désolées du Qalamoun, mais hier, Hassan Nasrallah se défendait d’avoir lui-même fait de ce phénomène naturel le signe annonciateur du début des hostilités. Glaçante était néanmoins son allocution télévisée, placée qu’elle était en effet sous le double signe du déni et du défi. Le déni d’abord : pour le chef du Hezbollah, les déboires militaires de Bachar el-Assad sont ainsi pur produit d’une malveillante guerre psychologique, et on va voir ce qu’on va voir. Le défi ensuite, plus arrogant, plus insultant que jamais : si la milice se porte vaillamment au-devant du péril jihadiste en s’acquittant du lourd tribut du sang, c’est seulement parce que l’État se tourne les pouces. Parce qu’il fallait bien que quelqu’un se décide à assumer les responsabilités nationales, qu’il s’agisse d’Israël, de la Syrie, de l’Irak ou de ce nouveau dada, le Yémen.
À quand le Liban, au fait ? Glaçant, qu’on vous disait.