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Trump(erie)

L’ÉDITO

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Donald Trump a sans nul doute brisé tous les records de bavures et de boutades stupéfiantes en période de campagne électorale. De mémoire, la présidentielle américaine n’a jamais volé aussi bas avec les fuites sciemment orchestrées et indiscrétions insidieuses sur les aventures et dérapages sexuels des uns et des autres. Ces débordements auraient revêtu, à la limite, un caractère burlesque s’ils ne s’accompagnaient pas parallèlement, dans certains cas, de commentaires pour le moins… inquiétants.
Lors du dernier débat télévisé avec sa concurrente, la candidate démocrate Hillary Clinton, Donald Trump a ainsi dévoilé sans détour sa perception de la crise syrienne et la ligne de conduite qu’il envisage de suivre dans cette affaire au cas où il accéderait à la Maison-Blanche. Il a implicitement souligné sa volonté de coopérer avec le président Vladimir Poutine, avec le pouvoir iranien et avec… Bachar el-Assad car « ils combattent l’État islamique ». « Je n’aime pas Bachar el-Assad (encore heureux !), mais il lutte contre Daech… » Argumentation hautement risible et primaire constituant un épais écran de fumée qui cache une triste réalité : soit le candidat républicain est atteint de cécité politique concernant le dossier syrien (ce qui expliquerait, peut-être, qu’il soit aux antipodes à ce sujet de son colistier pour la vice-présidence, Mike Pence) ; soit il s’emploie à tromper effrontément l’opinion publique.
M. Trump se positionne ainsi dans le même camp que Vladimir Poutine et Bachar el-Assad sous prétexte qu’ils mènent le combat contre Daech. Qu’on en juge, cependant, par les faits… Est-il possible qu’un candidat à la présidence des États-Unis ignore que le gros de l’effort de guerre du président Poutine en Syrie est axé actuellement sur l’est d’Alep alors même que l’État islamique a été chassé de cette région il y a plus de deux ans par les rebelles non jihadistes ? Donald Trump est-il au courant que dans les secteurs d’Alep contrôlés par l’opposition syrienne, il n’existe que 900 miliciens, au plus, de l’ex-Front al-Nosra, sur plus de 10 000 combattants anti-Assad, qualifiés de modérés ? Le postulant républicain à la présidence américaine ignore-t-il que plus de 80 pour cent des frappes aériennes russes ont visé les positions de la rébellion syrienne hostile à l’État islamique et à la mouvance jihadiste ? Il y a quelques jours, c’est l’Armée syrienne libre, soutenue par la Turquie (et non pas Bachar el-Assad ou Vladimir Poutine), qui a délogé Daech de la localité de Dabiq, l’une des places fortes et l’une des positions-symboles de l’État islamique au nord de la Syrie.
Mais l’ignorance affichée de Donald Trump ne s’arrête pas là. Le candidat républicain croit savoir que le régime syrien combat l’État islamique. Il pourrait certainement, s’il le veut, avoir accès à des archives qui lui permettront de « découvrir » que les principaux responsables et cadres de la mouvance jihadiste ont été libérés des geôles syriennes par Bachar el-Assad au début du soulèvement de 2011. La manœuvre du dictateur de Damas était diabolique et elle était destinée à des dirigeants occidentaux de la trempe de… Trump : Bachar el-Assad faisait face à deux types de rébellion, l’une plus ou moins « libérale » (ou en tout cas non fondamentaliste) qui risquait de séduire quelque peu l’Occident et contre laquelle il pouvait difficilement justifier le recours à la force sauvage à l’état pur ; et une seconde, jihadiste radicale, qui lui permettrait de relancer la politique de pyromane-pompier dans laquelle le régime Assad (déjà du temps du père) est passé maître et qui est fondée sur l’équation primaire et facile « c’est ou moi ou les jihadistes ». Un leitmotiv qui constitue un piège grossier dans lequel sont tombés nombre de responsables occidentaux (notamment de l’extrême droite et de l’extrême gauche), dont Donald Trump. Il aura fallu le courage politique du président François Hollande, de ses diplomates et de ses ministres concernés pour rappeler à qui veut bien l’entendre que le régime Assad et Daech sont blanc bonnet et bonnet blanc. Quitte à être accusés, malencontreusement, de dérive manichéenne par ceux qui n’hésitent pas à reléguer aux oubliettes, sans sourciller, tous les beaux discours sur le respect des valeurs humanistes et des droits de l’homme.