L’ÉDITO
Barack Obama prenant systématiquement le contre-pied de son prédécesseur George W. Bush, et puis Donald Trump détricotant rageusement le legs d’Obama: tout cela, c’était quasiment la routine, dans la déconcertante chronique de la continuité accommodée à la sauce américaine. Mais Trump renversant Trump avec tant de soudaineté et d’impétuosité, qui eût pu l’imaginer il y a quelques jours seulement ?
Le week-end dernier encore, l’administration US faisait savoir que le sort de Bachar el-Assad ne faisait guère partie de ses priorités. Voilà qui revenait à octroyer à la dictature baassiste une espérance de longue (et assassine) vie ; du même coup, Washington paraissait se dessaisir, sans la moindre contrepartie, d’un appréciable moyen de pression dans la recherche d’une solution négociée au conflit de Syrie.
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adikteev
Même le barbare bombardement aux gaz neurotoxiques de Khan Cheikhoun n’a été traité que par touches successives, bien qu’avec une remarquable célérité. L’occasion était trop belle en effet, pour le chef de la Maison-Blanche et ses collaborateurs, de voir tout d’abord, dans cette tragédie, une conséquence de la faiblesse et de l’irrésolution d’Obama. Puis c’est l’image de Bachar qui s’est altérée aux yeux de Trump, oui altérée, comme si l’on avait affaire, là, à quelque irréprochable enfant de chœur dévoilant subitement sa véritable nature. On en venait alors à un requestionnement de l’avenir du tyran, aux blâmes adressés à son tuteur russe et à la menace, formulée à l’ONU, d’une action unilatérale; celle-ci prenait corps avec le lancement de cinq douzaines de missiles de croisière Tomahawk sur la base aérienne syrienne d’al-Chaayrate d’où avaient décollé les oiseaux de mort.
C’est toute une foule de questions que suscite cette première frappe US visant directement le régime de Damas. Elle devrait logiquement traduire la mise en chantier d’une stratégie syrienne aux contours et objectifs encore imprécis et dont le candidat Trump croyait pouvoir se passer, lui qui se jurait en effet de tenir l’Amérique à l’écart de ce sanglant bourbier.
Si le président républicain s’y résout enfin, ce n’est pas seulement en raison de l’immense émotion soulevée par le spectacle des enfants gazés s’étranglant dans leur bave. Ce n’est pas seulement pour administrer une correction aux récidivistes syriens du gazage qui ont apparemment voulu tester son seuil de tolérance. En nette baisse de popularité, Donald Trump se doit, surtout, de redorer un blason passablement terni: de démontrer qu’il n’est pas le parent pauvre d’un Vladimir Poutine jouant en solo les tsars au Moyen-Orient, et encore moins son obligé électoral.
Ce duel mettant en jeu deux fortes têtes est évidemment chargé de risques. Il est parfaitement naturel, dès lors, que le Pentagone ait averti à l’avance les Russes des tirs de missiles de jeudi, quitte à voir ceux-ci alerter à leur tour les Syriens, ce qui expliquerait le pertes humaines relativement modestes essuyées par le personnel de la base attaquée. En revanche, la tension entre les deux superpuissances, illustrée par un vif échange d’accusations, peut aussi, par sa gravité même, commander de progresser dans les négociations, maintenant que le Yankee est en position d’argumenter toutes griffes dehors.
À l’homme de toutes les surprises qu’est Donald Trump, l’horreur de Khan Cheikhoun a aussitôt valu un appréciable regain de faveur dans le monde occidental. Sur la Russie, l’Iran et les milices alliées en rejaillit forcement l’intolérable infamie. Il reste néanmoins que, dans cette épouvantable affaire, le poison ne réside pas seulement dans ces inventions du diable que sont sarin, chlorine et compagnie, lâchés par des monstres sur des populations civiles sans défense. Interminable, stérile, mortellement futile est le débat sur les degrés d’urgence que requièrent ces versions faussement originales d’un même et odieux terrorisme: Daech et la dictature baassiste. La priorité, ils sont deux à la mériter.