L’édito
C’était François Hollande qui avait lancé le débat. En voulant, sainement, prendre le contre-pied d’un Nicolas Sarkozy tout englué dans un bling-bling vantard et cabotin, il avait eu ce choix, malheureux, d’épithète : Ma présidence sera normale. Le cadeau était en or, et son adversaire, malheureux au finish, s’était radieusement et naturellement engouffré dans la brèche. Et il avait raison : rien n’est moins normal qu’une présidence ; a fortiori, celle d’une grande puissance. Il n’en reste pas moins que ce slogan, fierté éternelle de l’actuel locataire de l’Élysée, a le mérite de (re)poser une question, multimillénaire et dans l’hypercœur du politique : c’est quoi, vraiment, un chef d’État ? Et, par extension – ou à l’origine : c’est quoi, vraiment, un électeur ?
Deux concepts fondamentaux de plus en plus torturés, galvaudés, transgéniques même, surtout quand on regarde le centre du monde (pour l’instant : combien de temps encore avant que la Chine ne s’arroge le titre…) : les États-Unis. Au pays de toutes les démesures, qu’elles soient somptueuses ou monstrueuses, au pays où l’étonnement est devenu un luxe qui se paie très cher, Donald Trump continue de stupéfier la planète. Bien sûr, ce ne sont que des projections ; bien sûr, les sondages se trompent parfois, mais les chiffres sont aussi effarants que le candidat à la présidentielle américaine de novembre prochain. Donald Trump, ses saillies insensées, bouffonnes d’abord, orwelliennes désormais, ses (im)postures, son coiffeur, sa terrifiante capacité à se surpasser à chaque fois, à centupler les aberrations politiques et morales, ces futurs électeurs qui, jusqu’à présent, le soutiennent, et le président d’une des trois plus grandes puissances, la Russie, qui l’applaudit des deux mains avant que les deux hommes ne se draguent ostentatoirement, clowns même plus drôles devenus véritables caricatures d’eux-mêmes et de ce croisé moyenâgeux, boursouflé de whisky (ou de vodka), déterminé à bouter l’envahisseur, c’est-à-dire l’autre, c’est-à-dire, encore une fois, celui qui ne pense, ni ne mange, ni n’aime, ni ne vit comme eux.
On peut continuer à (sou)rire de tout : Donald Trump est adoubé par Vladimir Poutine qui est vénéré par Marine Le Pen qui ne tardera pas à encenser Donald Trump. Le scénario est dystopique, Hunger Games bigger than life, certes, mais l’année 2017 n’est plus qu’à douze mois et elle risque d’être gargantuesque, ne serait-ce qu’au niveau des primaires ou des premiers tours.
Le métier d’électeur est cruellement à réinventer.