Décryptage
L’année 2014, si riche en développements, crises et guerres, se termine sur de nombreux points d’interrogation dont le plus important pour la région reste le sort de l’accord en préparation entre l’Iran et l’Occident. Du sort de cet accord dépendent l’avenir du Moyen-Orient et la définition des rôles des différents pays de la région, y compris celui du Liban et de son président attendu.
En principe, l’Iran et la communauté internationale, les États-Unis en tête, se sont donné jusqu’au mois de juin soit pour signer un accord définitif sur le dossier nucléaire iranien, soit pour décider qu’un tel accord n’aura pas lieu. Si toutes les analyses se rejoignent pour affirmer que l’alternative à cet accord serait la guerre, une guerre totale et destructrice, elles divergent sur les possibilités. Curieusement, c’est surtout au Liban que les pronostics restent tributaires des affinités politiques. Le noyau dur du 14 Mars estime ainsi qu’un accord sur le nucléaire iranien ne peut pas être conclu car l’Iran n’est pas en mesure de céder aux exigences de l’Occident, et comme l’Iran traverse actuellement une grave crise économique, due aux sanctions européennes, américaines et onusiennes, et aggravée par la baisse spectaculaire du prix du pétrole, les Iraniens vont donc recourir à l’escalade là où ils peuvent et surtout là où ils sont en position de force comme par exemple au Liban. Ce serait donc dans une tentative quasi désespérée de sauver ce qui peut l’être que le courant du Futur aurait décidé de se lancer dans un dialogue avec le Hezbollah dans l’espoir de le convaincre de ne pas jouer le jeu de l’Iran en cas de désaccord international sur le dossier nucléaire. En face, les milieux proches du 8 Mars sont au contraire convaincus que même s’il n’y a pas d’accord total sur le dossier nucléaire entre l’Iran et l’Occident, il n’y a pas non plus de retour à la guerre car les États-Unis ne peuvent pas se permettre d’en mener une nouvelle au moment où ils sont en train de se retirer de la région et de chercher à régler les conflits déjà ouverts.
Entre ces deux grandes lignes, il existe une multitude d’opinions qui tentent de prendre en considération les données sur le terrain et les rapports de force. Pour certains, la volonté d’aboutir à un accord existe chez les deux parties, mais les obstacles restent énormes. Il y a d’abord le fait que l’administration actuelle présidée par Barack Obama n’en a plus pour longtemps puisque, à partir de juillet 2015, les États-Unis entrent en campagne électorale présidentielle et ensuite, il y a d’autres facteurs qui entrent en jeu et qui se résument à l’opposition de l’Arabie saoudite et d’Israël à la conclusion d’un accord entre l’Iran et les États-Unis. Au premier argument, des spécialistes des États-Unis affirment que l’option du dialogue avec l’Iran est une question stratégique qui ne change pas avec le changement de président, les États-Unis fixant leur stratégie pour les dix, sinon 20 prochaines années. De plus, selon certaines informations, les Iraniens seraient actuellement en train de tisser des liens avec les républicains américains pour ne pas rester à la merci des démocrates. Ce qui signifie qu’ils seraient en train de se préparer à l’éventualité d’une victoire républicaine à la prochaine présidentielle américaine, avec le souci de préserver le dialogue avec les États-Unis. Au sujet de l’opposition saoudienne au projet d’accord sur le nucléaire iranien, tout le monde reconnaît qu’elle est réelle et profonde. Mais selon certaines opinions, l’Arabie saoudite va certainement faire tout ce qu’elle peut pour saboter ce processus, avec toutefois deux réserves : la première est que le royaume wahhabite a des outils pour entraver le dialogue et l’accord, mais il n’a pas de projet alternatif. Ce royaume a donc une obsession : empêcher l’Iran de devenir le principal acteur régional en signant un accord avec les États-Unis, mais il ne peut pas prendre cette place lui-même, étant prisonnier d’un régime dur et religieux qui n’arrive pas, contrairement au régime iranien, à amorcer une ouverture en direction des Occidentaux. La seconde réserve réside dans les problèmes internes qui secouent actuellement le royaume. Le roi Abdallah tente de procéder à des réformes, notamment au niveau de l’enseignement religieux, mais il se heurte à une forte opposition de la part des ulémas, alors qu’une sorte de guerre de succession est en train de diviser la famille royale, notamment entre les deux principales figures qui montent actuellement, l’émir Mohammad ben Nayef et l’émir Moteeb ben Abdallah, sans parler du clan Bandar ben Sultan et Séoud al-Fayçal. Pour toutes ces raisons, l’Arabie a donc les moyens de créer des problèmes dans la région et de nourrir les conflits comme elle le fait en Syrie, mais elle n’est pas porteuse d’un projet qui pourrait séduire l’Occident, les États-Unis en tête. Quant à l’opposition d’Israël à un rapprochement entre les États-Unis et l’Iran, pour de nombreux spécialistes, une fois que les Américains auront fait leur choix, les Israéliens ne pourront qu’obéir.
La situation reste donc encore confuse et le premier trimestre de l’année 2015 devrait permettre d’y voir plus clair. Mais en attendant, et en dépit de l’atmosphère positive due à la perspective du dialogue entre le courant du Futur et le Hezbollah, et entre les deux pôles chrétiens Michel Aoun et Samir Geagea, l’élection présidentielle n’est pas prévue avant le printemps, tant le Liban reste tributaire des développements régionaux et internationaux.