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Un nouvel axe régional et encore plus de complications

Décryptage

 

 

Tout avait commencé par les petites allusions du leader druze Walid Joumblatt, lorsqu’il avait commencé, dans le cadre du dossier des militaires pris en otage, à faire des distinctions entre le Front al-Nosra et Daech. Certains avaient interprété cette volonté de Joumblatt de considérer le Front al-Nosra comme fréquentable, alors qu’il figure déjà sur la liste des organisations terroristes de l’Onu et sur celle des États-Unis, comme étant dictée par le fait que parmi les otages militaires entre les mains de ce groupe, il y a trois ou quatre druzes. En ménageant le Front al-Nosra, Walid bey espérait peut-être obtenir une libération des otages druzes en priorité. Mais aujourd’hui, cette attitude de Walid bey, qui sent les vents tourner avant tout le monde, est comprise comme le début d’un renflouement des Frères musulmans dans la région, le Front al-Nosra étant généralement considéré comme proche des Frères, alors que Daech serait proche d’el-Qaëda. La participation d’une délégation des Frères musulmans à la réunion de lutte contre le terrorisme takfiriste qui s’est tenue la semaine dernière à Riyad semble confirmer cette tendance, sachant que les Frères musulmans étaient depuis longtemps interdits en Arabie saoudite. Non seulement leur rôle dans la région est l’une des principales causes du conflit entre Doha et Riyad, mais de plus l’Arabie saoudite a activement participé au coup d’État qui a renversé le président Mohammad Morsi, lui-même membre de l’organisation des Frères musulmans en Égypte. En effet, les dirigeants saoudiens avaient à l’époque pris ombrage de la puissance des Frères musulmans, qui avaient pris le pouvoir en Tunisie, en Égypte et bougeaient dans l’ensemble du monde arabe, avec la bénédiction des États-Unis et bien sûr sous la houlette de la Turquie et du Qatar. Plus même, ils se sentaient menacés par cette montée en puissance de cet islam radical, le seul, à ce moment-là, en mesure de rivaliser avec le wahhabisme qui contrôle les rouages du royaume qui porte le même nom. Ils ont donc joué sur les contradictions à l’intérieur de l’Égypte et misé sur les maladresses du président Morsi pour encourager l’armée égyptienne et en particulier le général Sissi à mener un coup d’État « soft » qui a permis le renversement du président membre des Frères musulmans et la persécution de cette organisation en Égypte. Les États-Unis ont accepté le fait accompli, mais n’ont pas encore rétabli les relations qu’ils avaient avec le précédent président égyptien. Quant à la Turquie et le Qatar, ils ont carrément de mauvaises relations avec le nouveau pouvoir en Égypte.
Le monde arabo-musulman était donc divisé en deux : les parrains ou partisans des Frères musulmans (Turquie, Qatar essentiellement) et ceux qui leur sont hostiles (les pays du Golfe, à leur tête l’Arabie saoudite et l’Égypte). Alors que le Conseil de coopération du Golfe était sur le point d’éclater, l’Arabie saoudite a brusquement décidé d’ouvrir une nouvelle page avec le Qatar, qui, entre-temps et sur les conseils des Américains, avait changé d’émir et d’équipe au pouvoir. Cette réconciliation n’avait pas au départ était prise au sérieux et les milieux diplomatiques estimaient qu’elle était de pure forme, le fossé étant encore trop profond entre les « deux islam ».
Mais aujourd’hui, un spécialiste libanais de l’islam estime qu’il existe une véritable volonté de créer un nouvel axe régional qui regrouperait la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, pour faire face à l’Irak et à la Syrie, considérés comme étant sous influence iranienne. Cet axe aurait été rendu possible par l’arrivée au pouvoir en Arabie du roi Selmane, plus ouvert sur cette question que son frère Abdallah qui avait une mentalité carrée de Bédouin, et surtout par la montée en puissance de l’émir Mohammad ben Nayef, considéré comme sensible à l’idée d’une réconciliation avec les Frères musulmans. Le nouveau pouvoir en Arabie a donc conseillé au président égyptien de se réconcilier avec le Qatar en allégeant les sanctions contre l’organisation des Frères musulmans en Égypte. Mais comme ce dernier n’était pas convaincu d’une telle démarche, il y a eu soudainement des fuites à partir de son propre bureau sur des propos peu respectueux qu’il aurait tenus sur des dirigeants du Golfe. Le président Sissi a été contraint de présenter des excuses et le roi Abdallah II de Jordanie a même effectué une visite au Caire pour tenter de le convaincre d’améliorer ses relations avec les pays du Golfe et en particulier avec le Qatar.
Les informations sur la formation de ce nouvel axe coïncident avec la nouvelle de la conclusion d’un accord entre les États-Unis et la Turquie pour l’entraînement de « combattants syriens modérés ». Formés par la Turquie, ces combattants seraient forcément dans la mouvance du Front al-Nosra et devraient en principe constituer l’alternative à Daech face au régime syrien. Ce qui laisse supposer que la Syrie est à la veille de nouvelles batailles sur le terrain pour à la fois affaiblir Daech et le régime en les remplaçant par les combattants du Front al-Nosra. Cette nouvelle tentative peut-elle réussir ? Les inconnues sont encore nombreuses et le Front al-Nosra peut difficilement se présenter comme une force modérée, sachant que ce sont quand même ses combattants qui ont exécuté les quatre militaires libanais qui faisaient partie des otages entre les mains des groupes extrémistes. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si le secrétaire général du Hezbollah précise dans ses discours que Daech et Nosra sont pratiquement les mêmes et s’inspirent de la même idéologie…