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Un pari gagnant pour le CPL et pour les FL

Décryptage

 

Ce qui était encore incroyable il y a quelques semaines est devenu une réalité. Le chef des Forces libanaises a finalement appuyé la candidature de son rival, le chef du CPL, à la présidence de la République. L’annonce a d’ailleurs été faite selon un scénario spectaculaire soigneusement mis au point pour montrer la solennité du moment et son importance dans le cours des relations entre les deux formations les plus importantes au sein de la communauté chrétienne.

 

Il y a désormais un avant et un après-18 janvier 2016. Et même si les plus sceptiques parlent d’intérêts strictement présidentiels, les relations entre les Forces libanaises et le CPL ne seront plus jamais les mêmes. Le chef des Forces libanaises a même tenu à faire son annonce devant tous les cadres de son parti pour bien montrer qu’il ne s’agit pas d’une simple manœuvre politique, mais d’une démarche qui s’inscrit dans la durée.
L’annonce a été d’autant plus surprenante que deux jours auparavant, le 14 Mars semblait s’être ressoudé autour de son refus de la relaxe de l’ancien ministre Michel Samaha. Mais Samir Geagea – qui a envoyé ses partisans participer aux manifestations de protestation devant le domicile de M. Samaha car il ne pouvait pas laisser Achrafieh, bastion traditionnel des FL, investi par les partisans du courant du Futur et du PSP – a maintenu le cap : exprimer son refus de la marginalisation systématique dont il fait l’objet de la part de son allié, le courant du Futur. Selon ses proches, sa décision a donc été bien mûrie et elle n’est pas une simple réaction, mais plutôt le résultat d’un cumul de frustrations doublé d’efforts de rapprochements menés par le tandem Ibrahim Kanaan-Melhem Riachi.
Selon des sources concordantes, dès qu’il a appris l’annonce de la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, par Saad Hariri, M. Geagea a fait savoir qu’il considérait cette initiative comme un coup fatal porté contre lui, non seulement sur le plan personnel, mais aussi sur le plan de son leadership au Liban-Nord. Il a donc envoyé des émissaires auprès du chef du courant du Futur et auprès des dirigeants saoudiens pour expliquer son point de vue, mais M. Hariri n’a rien voulu entendre. Plus même, ce dernier a poursuivi sa campagne en faveur de la candidature de M. Frangié et avec d’autres personnalités influentes, il a essayé de faire un lobbying auprès de dirigeants européens en faveur de cette candidature. Une tournée européenne de Sleiman Frangié était même en préparation et c’est cette information qui aurait accéléré l’annonce de Geagea, car il fallait éviter de créer un fait accompli d’appui européen à la candidature de Frangié.
Le chef des FL avait toutefois fait son choix depuis quelque temps déjà en se basant sur les données suivantes : les développements régionaux d’abord étaient en train de montrer une nette tendance en faveur de l’Iran et de ses alliés, dans un climat de bienveillance américaine, alors que l’Arabie saoudite et ses alliés étaient en régression sur la plupart des dossiers brûlants, notamment en Syrie et au Yémen. De plus, le chef des FL aurait été échaudé par le peu de cas fait de ses appréhensions par le courant du Futur et il aurait d’abord menacé d’appuyer la candidature de Michel Aoun, avant de prendre clairement une décision en ce sens.
Pour le chef des FL, il s’agit donc d’un pari gagnant, sachant que, d’une part, il n’avait plus rien à attendre du courant du Futur et, d’autre part, cette démarche lui permettait de modifier l’attitude de la base aouniste à son égard. De la sorte, le chef des FL s’est assuré une place de choix si Aoun devait être élu à la présidence, sans oublier le fait qu’il a augmenté ses chances pour le leadership chrétien dans l’avenir.
De son côté, le général Michel Aoun a aussi soigneusement fait ses calculs, estimant que l’appui de M. Geagea à sa candidature lui assure une plus grande assise populaire chrétienne, en lui permettant de tourner la page du passé tragique. De plus, elle constitue une réponse à Saad Hariri qui lui avait conseillé de s’entendre avec les chrétiens du 14 Mars pour pouvoir obtenir son appui à sa candidature. Enfin, c’est une grande victoire pour M. Aoun d’être parvenu à convaincre son ennemi d’hier de sa candidature à la présidence, sans avoir fait de concessions majeures sur le fond ni sur les options.
Pour les deux leaders chrétiens, il s’agit donc d’un pari gagnant qui sert leurs intérêts respectifs, sachant qu’en plus, les chrétiens étaient critiqués par les dirigeants du monde entier pour leur incapacité à s’entendre sur une seule candidature à la présidence.
Aujourd’hui, les deux formations les plus importantes au sein de la communauté ont donc choisi la candidature de Michel Aoun, provoquant un changement total dans l’approche du dossier présidentiel. Jetée d’abord chez les chrétiens, la balle est désormais dans le camp des autres protagonistes, notamment le courant du Futur, le Hezbollah, Amal et le PSP. Le Hezbollah reste pour l’instant discret, mais ses milieux continuent d’estimer que l’élection de Aoun à la présidence serait une victoire stratégique pour eux. Le chef du CPL s’est rendu chez Nabih Berry pour tenter de l’amadouer et il est probable que le président de la Chambre ne s’opposera pas à l’entente entre Aoun et Geagea. Même démarche auprès du chef du PSP Walid Joumblatt. Restent les autres composantes chrétiennes, notamment Sleiman Frangié et le parti Kataëb. Pour M. Frangié, il est clair qu’il attend une initiative en sa direction de la part du CPL, qui devrait avoir lieu, mais doit être bien préparée en raison du froid dans les relations entre les deux alliés depuis l’annonce officieuse de Saad Hariri de son appui à la candidature de Frangié. Avec les Kataëb, des contacts doivent aussi être entrepris. Mais le véritable problème reste dans l’attitude du courant du Futur, qui est la composante sunnite la plus représentative de cette communauté et sans laquelle il ne peut y avoir d’élection présidentielle…
Avec l’appui de Geagea à la candidature de Aoun, un pas a donc été franchi, mais l’élection présidentielle n’est pas encore acquise. Elle reste tributaire de nombreux facteurs, internes et régionaux.