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Un sit-in à Naamé… et une « patate chaude » renvoyée aux municipalités

 

Walid Joumblatt ne couvre plus la prolongation de l’activité à la principale décharge du pays, qui devrait être fermée de force par les habitants. Mohammad Machnouk demande aux municipalités d’assurer des décharges temporaires.

Suzanne BAAKLINI

Alors que les habitants de Naamé et des villages environnants se préparaient à un sit-in de vaste envergure pour fermer la route aux camions de la compagnie privée qui gère la décharge, et que l’on craint de plus en plus de voir les ordures s’amonceler dans les rues comme en janvier 2014 dans des circonstances similaires, le ministre de l’Environnement Mohammad Machnouk a créé la surprise hier en se déchargeant du dossier sur les municipalités : il leur a demandé d’assurer elles-mêmes, dès aujourd’hui, des sites de décharges pour les déchets empaquetés en ballots.

 

Plus tôt dans la journée, selon les informations de l’agence al-Markaziya, le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt a annulé une réunion qu’il devait tenir avec le ministre de l’Environnement à son domicile de Clemenceau. Les observateurs cités par l’agence y ont vu un refus définitif d’une prolongation de l’activité dans la décharge, ce que le communiqué du bloc joumblattiste la veille semblait déjà confirmer.
Réagissant aux derniers développements, le ministre de l’Environnement a publié un communiqué dans lequel il affirme que « Sukleen poursuivra les opérations de collecte et de traitement des déchets » en attendant que les nouvelles compagnies qui seront chargées d’assumer ces tâches soient prêtes à le faire.
Suivant le nouveau plan national de gestion des déchets, le Liban est divisé en six zones devant être gérées par des compagnies qui auront remporté l’appel d’offres lancé par le gouvernement. Mais même après la conclusion des appels d’offres, les compagnies auraient besoin de plusieurs mois pour entamer leur travail et préparer leurs décharges.
Dans son communiqué, M. Machnouk fait assumer aux municipalités et fédérations de municipalités la responsabilité de trouver des sites de décharges temporaires en attendant les décharges définitives. « Il faudra une coordination entre les municipalités et Sukleen pour déterminer les sites où seront jetés les ballots d’ordures », poursuit-il. Sans toutefois donner d’indications sur la manière dont un tel système pourrait être instauré en 24 heures.

Une pollution généralisée ?
Du côté de Naamé, le sit-in aura bien lieu. Ajwad Ayache, porte-parole de la Campagne pour la fermeture de la décharge de Naamé, assure à L’Orient-Le Jour que les manifestants seront sur place dès dix heures aujourd’hui vendredi, et que les camions seront interdits d’entrée dès 6 heures. « Nous nous attendons à une grande foule, dit-il. Il y aura même des représentants de partis. Le PSP a promis de nous soutenir sur toute la ligne, nous verrons bien. » Interrogé sur la déclaration du ministre, Ajwad Ayache pense qu’ « il s’agit d’un pas dans la bonne direction ». « Les municipalités devraient être impliquées dans le traitement des déchets », dit-il.
Dans d’autres régions, on n’est pas rassuré. Il a été question d’envoyer un certain tonnage à d’autres décharges, à l’instar de celle de Hbaline à Jbeil. On a même parlé de rouvrir le dépotoir de Bourj Hammoud, dont la fermeture en 1997 a été à l’origine de l’adoption du plan d’urgence dans le cadre duquel a été aménagée la décharge de Naamé !
À Hbaline, la contestation gagne déjà en intensité. Demain samedi, un sit-in sera organisé par les municipalités et la société civile de Jbeil pour empêcher toute tentative d’enfouir dans la décharge des déchets issus de zones hors du caza de Jbeil.
Fifi Kallab, présidente de Byblos Ecologia et habitante de la région, estime que le pays est dans l’impasse à partir d’aujourd’hui. « Pourquoi n’ont-ils pas prévenu les municipalités six mois plus tôt afin qu’elles se préparent ? se demande-t-elle. Le ministre parlait encore, il y a peu, d’exporter les déchets. Aujourd’hui, il met les municipalités face à cette énorme responsabilité. »
Selon cette experte en sociologie de l’environnement, « le gouvernement se trouvera inévitablement dans une épreuve de force face à la population, quand se multiplieront les refus des décharges chaotiques ». Elle met en avant le risque de voir des déchets jetés n’importe où, sans protection aucune puisqu’il n’existe pas de sites préparés au préalable. En bref, un risque de pollution généralisée. « Ils auraient pu prendre la précaution d’équiper des carrières désaffectées par exemple, au lieu d’attendre l’inévitable, poursuit-elle. Ils sont irresponsables, dénués de toute logique. J’aurais aimé porter plainte contre ce gouvernement mais il n’y a pas de recours possible », pour Mme Kallab, qui dit craindre que cette impasse n’ait pour objectif d’imposer l’achat d’incinérateurs, une option rejetée par les écologistes, car considérée par eux comme chère et polluante.
Pour sa part, Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais (qui devrait participer au sit-in de Naamé aujourd’hui), revient à la charge pour remettre sur le tapis ce qu’il a maintes fois proposé en vue d’échapper à la catastrophe annoncée : un système de tri qui réduise le volume des déchets à enfouir, en en prélevant les matières organiques (à composter) et les matières recyclables. Ce qui résulterait à n’enfouir que 10 à 20 % de matières inertes.
Quoi qu’il en soit, le dossier des déchets ménagers ressemble aujourd’hui plus que jamais à une grande inconnue. Hier, il semble que personne n’était capable – les responsables en premier – d’indiquer quelle direction prendront les camions remplis d’ordures. Le risque de rues inondées de déchets est donc plus que jamais d’actualité.