IMLebanon

Une affaire de famille

Il a, certes, moult petits défauts. Comme tout le monde, d’ailleurs. Mais il faut bien reconnaître, au moins, qu’il est mû par un esprit de famille particulièrement développé… Doublé, parallèlement, d’un ego démesuré, poussé à l’extrême. Au point qu’il finit par être atteint de cécité politique. L’ensemble du tableau est enrobé – là aussi il faut l’admettre – d’une constance dans la ligne politique. Mais une constance dans l’anormal.

Le général Michel Aoun s’obstine ainsi à paralyser aujourd’hui l’action de l’exécutif, en plein cataclysme régional – aux retombées locales évidentes–, parce qu’il insiste à obtenir la désignation de son gendre à la tête de l’armée. Et d’une manière concomitante, il s’emploie avec minutie à torpiller depuis plus d’un an l’élection présidentielle, à l’ombre de cette même conjoncture explosive, en se basant sur le principe « Moi président de la République, ou personne ». Déjà en 2009, au terme des élections législatives marquées par une nette victoire du 14 Mars, il avait bloqué pendant de longs mois la formation du premier gouvernement de Saad Hariri pour imposer l’entrée de son autre gendre au cabinet. C’était l’époque de « mon gendre ministre, ou pas de gouvernement ».

Cette même approche égocentrique, il l’avait suivie aussi de 1988 à 1990 lorsque le président Amine Gemayel l’avait nommé Premier ministre d’un gouvernement de transition censé paver la voie à l’élection d’un chef de l’État. Se déclarant « président et six ministres », il s’était alors accroché au pouvoir, refusant de quitter le très convoité palais de Baabda, provoquant au passage deux guerres destructrices et proclamant manu militari la « dissolution » du Parlement.

Pour un ancien commandant en chef de l’armée qui se posait en héraut de l’attachement à la légalité et à l’État de droit, cette série de violations des mécanismes constitutionnels relève du surréalisme. Le prétexte invoqué pour justifier ces atteintes répétées à la Loi fondamentale et à la stabilité interne – renforcer la présence chrétienne aux plus hauts échelons du pouvoir – cache mal en réalité un népotisme à caractère essentiellement familial. Comment expliquer, autrement, que le chef du CPL ne se soit pas montré aussi combatif et déterminé lorsqu’il a réclamé, timidement, il y a quelques années (sans trop insister), la restitution aux chrétiens de la direction de la Sûreté générale et celle de la Sécurité de l’aéroport, deux postes sécuritaires à tel point sensibles que le Hezbollah les considère comme faisant partie désormais de sa chasse gardée. « Résistance » oblige…

Depuis la fin des années 80, Michel Aoun n’hésite pas ainsi à paralyser les institutions constitutionnelles ou à déstabiliser dangereusement la scène interne lorsqu’il s’agit de se tailler, pour lui ou pour l’un de ses gendres, une bonne place au soleil. « Il s’agit là de pratiques politiciennes traditionnelles que l’on relève dans toute lutte pour le pouvoir », diront certains. Sauf que dans le cas présent, le pays du Cèdre ne peut se permettre des aventures et des expériences farfelues – pour ne pas dire irresponsables – alors que la physionomie géopolitique de l’ensemble de la région est en pleine mutation et demeure ouverte à toutes les éventualités.

Dans un contexte en tous points explosif, le chef du CPL joue, aujourd’hui plus que jamais, avec le feu. Entre ses ambitions présidentielles maladives et son acharnement à vouloir caser au sommet de la pyramide étatique tantôt un de ses gendres et tantôt l’autre, il ouvre dangereusement la boîte de Pandore. Pis encore, il se fait l’instrument d’un Hezbollah transnational qui attend le moment propice pour entreprendre, sur les injonctions de Téhéran, de saborder la formule libanaise et, surtout, les acquis de la révolution du Cèdre, au profit des ambitions hégémoniques du régime des mollahs iraniens. À l’heure où un nouvel ordre régional se profile à l’horizon, il serait criminel que le népotisme familial prenne le dessus sur les impératifs de la stabilité interne et de la sauvegarde des fragiles équilibres interlibanais. Faut-il rappeler dans ce cadre que l’enjeu véritable porte, purement et simplement, sur le sort du Liban-message ?