Site icon IMLebanon

Une cohabitation de plus en plus difficile en Conseil des ministers

Il y avait du bon et du mauvais hier en Conseil des ministres, le premier depuis que les ministres du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme ont haussé le ton, menaçant de tout bloquer si jamais le dossier des nominations sécuritaires n’était pas approuvé en priorité.
Le fait même que le gouvernement parvienne à se réunir, en dépit des divergences profondes parmi ses membres sur son mécanisme de fonctionnement, est une bonne chose, tout comme le déblocage de 21 millions de dollars à titre de subventions pour l’exportation de produits agricoles et industriels vers les pays arabes. Tammam Salam a pu mettre les membres de son équipe devant leurs responsabilités et briser le blocus que les ministres aounistes imposaient à l’ordre du jour de la réunion, en se prévalant des prérogatives que leur confère, selon eux, la Constitution, en ce sens qu’en l’absence d’un président, c’est le Conseil des ministres qui exerce ses prérogatives.
Mais à part le décret relatif aux exportations, le chef du gouvernement n’a malheureusement pas réussi à faire passer d’autres points inscrits à l’ordre du jour d’une séance qui a commencé calmement et qui s’est terminée sur une note explosive. Tammam Salam est littéralement sorti en claquant la porte, poussé à bout par les ministres du bloc Aoun.
Personne n’était en mesure de dire hier soir quand le gouvernement se réunira à nouveau. Certains pensent qu’un Conseil des ministres ne sera pas convoqué avant la fin du ramadan et se fondent pour cela sur l’introduction du communiqué final de la réunion, dans laquelle M. Salam présente ses vœux aux Libanais pour ce mois de jeûne.

 

 

Un débat byzantin
En tout état de cause, il est prématuré de se prononcer sur la question. Ce qui est sûr, c’est que Tammam Salam va reprendre ses tractations pour essayer de dégager une entente autour du mécanisme de fonctionnement du gouvernement. Hier, les échanges sur ce point s’assimilaient à un débat byzantin.
Pourtant, dès l’ouverture de la séance, le chef du gouvernement n’a pas arrêté d’expliquer pourquoi il est important de mettre de côté les divergences politiques et de s’attaquer aux dossiers qui concernent les Libanais au quotidien. « Le pays n’a plus la patience d’attendre. Nos responsabilités constitutionnelles et officielles dépassent les autorités politiques. Le pays a eu son lot de paralysie et d’échecs. J’espère que vous saisirez l’impact positif d’une réactivation du Conseil des ministres et de l’importance, pour les Libanais, que nous prenions des décisions productives », a-t-il dit d’emblée en rappelant que c’est l’entente qui régit le fonctionnement du Conseil des ministres. « J’y suis toujours attaché, mais il faut aussi réagir au blocage. Nous avons essayé pendant trois semaines de le régler et de mettre de côté les dossiers conflictuels. Nous devons y parvenir », a-t-il poursuivi, avant de s’indigner de la lettre de protestation du bloc parlementaire du Changement et de la Réforme contre l’ordre du jour établi. « Conformément à la Constitution, le président de la République est informé de l’ordre du jour. Son approbation n’est pas requise », a expliqué Tammam Salam, ce à quoi le ministre (aouniste) de l’Éducation, et de l’Enseignement supérieur, Élias Bou Saab, a répondu : « Nous sommes une composante principale du gouvernement et nous le contestons. C’est notre droit. »
Et c’est ainsi que le débat autour des compétences du gouvernement qui exerce celles du président de la République, en son absence, a été lancé. Plusieurs ministres sont intervenus sur la question. Les ministres du Hezbollah et du Tachnag ont pris le parti de leurs alliés aounistes, mettant en garde contre une exacerbation de la crise. « Le Courant patriotique libre est une composante principale du gouvernement. Il y a eu un cumul de faux pas à son égard, lorsqu’on a refusé de lui accorder des droits qui correspondent à son poids. Il faut régler ce problème », s’est révolté le ministre d’État pour les Affaires du Parlement, Mohammad Fneich, ce qui a permis à son collègue des Affaires étrangères, Gebran Bassil, de surenchérir : « Nous représentons la majorité chrétienne et nous sommes marginalisés. Nos droits sont spoliés. »
Le ministre des Télécoms, Boutros Harb, a proposé d’écouter l’avis de son collègue de la Défense, mais c’est Nouhad Machnouk (Intérieur) qui a réagi en relevant que même si le dossier des nominations sécuritaires est soumis à examen, il n’obtiendra pas la majorité requise. Il a contesté l’argumentation de ses collègues aounistes.
Le ministre de la Santé, Waël Bou Faour, a tenté d’expliquer que « nul ne s’oppose à la nomination du général Chamel Roukoz à la tête de l’armée, une fois le mandat du général Jean Kahwagi terminé, mais que cela ne doit pas être une raison pour paralyser le pays et le pousser vers le gouffre ». « Nous sommes sur la bonne voie du suicide. Quel est le plus important ? Le pays ou nous ? Les nominations ne sont pas plus importantes que le pays », s’est-il exclamé.
« Rien n’interdit l’approbation des nominations souhaitées, mais en temps opportun », a enchaîné le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, mettant en garde contre un « suicide dont le prix sera payé par tous les Libanais », pendant que Boutros Harb faisait remarquer avec humeur que « personne ne représente tout le peuple pour bloquer le pays suivant ses caprices ». Son collègue du Travail, Sejaan Azzi, a souligné que tous les « défenseurs des prérogatives du gouvernement ont la possibilité de régler le problème, pour peu qu’ils se rendent au Parlement et élisent un président ».
Ancien bâtonnier, le ministre de l’Information, Ramzi Jreige, a présenté une étude sur les compétences présidentielles par rapport à l’examen de l’ordre du jour d’un Conseil des ministres, pour expliquer qu’elles sont exclusives et ne peuvent pas être transférées à un ou plusieurs ministres.

La colère de Salam
M. Salam a tenté d’orienter le débat vers l’ordre du jour. « Je vous prie de comprendre, a-t-il dit à l’adresse des ministres, qu’il existe 900 tonnes de produits qui doivent être exportées. Nous devons approuver ce décret dans l’intérêt des gens. » Ce à quoi Gebran Bassil a répondu : « Nos droits sont spoliés. Les chrétiens ont-ils ou non une présence dans ce pays ? »
C’en était trop pour le chef du gouvernement qui a explosé : « Tu pleurniches à propos de tes droits et tu dis qu’ils sont spoliés, alors qu’on m’en veut en Conseil des ministres parce que je suis à tes petits soins et que je te soutiens tout le temps ? Tes propos sont mal placés. Ce décret sera approuvé. Que ceux qui veulent protester ne se gênent pas de le faire. » Il est sorti en claquant la porte au milieu d’un brouhaha général et d’une querelle autour des droits des uns et des compétences des autres.
Les ministres aounistes étaient furieux. Leur colère s’est accentuée quand un problème technique a empêché une retransmission en direct de la conférence de presse de M. Bou Saab. Ce dernier a crié au complot. « Nous insistons sur le fait qu’aucune décision n’a été prise aujourd’hui » (hier) , a-t-il martelé.
Le décret de déblocage des fonds est quand même passé. Il doit être signé par les ministres de l’Agriculture (PSP), des Finances (Amal) et des Travaux publics et des Transports (Amal).

 

Session parlementaire extraordinaire
Le gouvernement n’a pas cependant réussi à obtenir la majorité nécessaire (moitié plus un) pour la signature du décret d’ouverture d’une session parlementaire extraordinaire. Des ministres chrétiens, seul Nabil de Freige a signé le texte, et des ministres musulmans, seul Abdel Mouttaleb Hennaoui (proche de l’ancien président Michel Sleiman) s’en est abstenu. Les Kataëb sont comme on le sait hostiles à la tenue de réunions législatives et considèrent que le Parlement doit en priorité élire un président. Les autres ministres chrétiens, membres du Rassemblement consultatif, souhaitaient en discuter au préalable avec Michel Sleiman.
Toujours est-il, que pour les autres, loin des considérations politiques, le Parlement doit se réunir pour permettre au Liban d’honorer ses engagements et à l’État de fonctionner au minimum. Si, d’ici à la fin du mois, le Parlement n’a pas voté une série d’accords de prêts avec la Banque mondiale, il risque de perdre à jamais le financement de projets que cet organisme lui a consacré. Plus encore, la BM aurait fixé au 18 juillet la date limite à partir de laquelle elle cessera d’accorder des prêts au Liban si la paralysie politique persiste. Sans compter que le Liban se doit de payer le service de la dette ainsi que les salaires de ses fonctionnaires. Plusieurs ministres s’indignent de cette paralysie qui affecte le pays à tous les niveaux. L’un d’eux ne manque pas de relever, pour montrer à quel point la situation est mauvaise, que les recettes de l’État pour les premiers six mois de l’année était de 516 milliards de livres inférieures à celles de la période correspondante l’an dernier, « qui était déjà mauvaise » !