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Une fabuleuse histoire de dialogues

Les deux initiatives de dialogue – entre le courant du Futur et le Hezbollah et entre le Courant patriotique libre et les Forces libanaises – se poursuivent à l’échelle nationale depuis plusieurs semaines déjà.
Théoriquement, il faudrait s’en réjouir, et même s’en féliciter.
Pour les plus inspirés, le Liban (ou, du moins, ses seigneurs de guerre reconvertis dans l’après-guerre) tenterait ainsi, dans un monde arabe éclaté et à feu et à sang, de donner pour une fois l’exemple contraire, en étant à la hauteur de sa vocation de message, d’autant que l’opinion publique est fatiguée, lassée et écœurée du conflit qui perdure entre les deux camps politiques depuis dix ans.
Pour ceux qui sont un tantinet plus réalistes, le dialogue serait le moyen de préserver le vivre-ensemble et la sécurité, ou, au moins, de limiter les dégâts pour éviter l’importation du conflit syrien et, partant, l’implosion.
Quant aux plus cyniques, ils seraient d’avis que de telles concertations constituent concrètement une perte de temps, mais que sous l’angle de la polémologie, le dialogue est aussi une continuation du conflit par d’autres moyens, c’est-à-dire une arme défensive qui permet de se rapprocher de son adversaire pour le neutraliser, l’empêcher de nuire, surtout s’il possède un avantage considérable, une supériorité manifeste sur le plan des rapports de force.

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Est-il donc possible de s’inscrire en faux contre le dialogue – n’importe lequel, fût-il conjonction de monologues, byzantin, bancal, gratuit, etc. –, qui possède toujours toutes les vertus du monde, surtout qu’en définitive, la paix civile et le bien commun au sein de la cité, au service de la dignité de l’individu, devraient être le but ultime de toute politique et la responsabilité première de tout responsable digne de ce nom ?
Naturellement, non, pour toutes les raisons précitées, et qui sont ressassées à longueur de journées par les cadres politiques des deux camps qui dialoguent : décrisper la tension, empêcher l’explosion, immuniser la scène interne contre les dangers extérieurs, brider quelque peu la violente montée aux extrêmes sectaire et idéologique, rapprocher les points de vue, tourner la page des affrontements proches ou moins proches, débloquer la crise institutionnelle, et, en résumé, consolider l’État, « sauver la République ».
Qui pourrait donc s’opposer à d’aussi nobles intentions? Surtout lorsque, soudainement, les forces en présence se mettent presque au même diapason, en forçant presque la dose pour préserver leur identité et leur discours propres ? Le dialogue ne suppose-t-il pas une accalmie, et la cessation des hostilités un retour à de meilleurs sentiments, avec, à la clé, un certain changement dans le ton, si ce n’est dans le discours ?
S’opposer au principe du dialogue, c’est donc commettre un crime insensé de lèse-majesté, et de lèse-République. C’est être soit un boute-en-train anarchiste, soit un méphistophélique patenté.
Soit.
Sauf que, depuis le début du dialogue intermusulman et interchrétien, et en dépit de tous les arguments développés en faveur de cette double initiative, le citoyen est en droit de se poser certaines questions. Qui plus lorsque les deux dialogues surfent sur le paradoxe libanais : l’absence totale d’informations, voire la désinformation, dans un pays où il y a toujours un trop-plein d’informations sur rien. Le dialogue est hermétique, imperméable, si bien qu’il faut se contorsionner, au niveau des faits, pour obtenir la moindre information sur ce qui s’y produit, voire même pour pouvoir lui tracer un périmètre. C’est un dialogue pour « sauver la République », nous dit-on. Il porterait donc sur tous les dossiers en vue de parvenir à cet objectif. Soit. Un risque, partant, qu’il ne traite absolument de rien. L’ambiguïté, le flou, volontaire ou accidentel, renverrait alors au néant.
Le risque, à l’heure de la décrédibilisation intense de la politique et des hommes politiques au Liban – dont le film de Nadine Labaki, Et maintenant, on va où, était l’expression populaire la plus révélatrice –, est que ces dialogues, positivement accueillis dans les milieux populaires, ne provoquent, ultimement, une désillusion encore plus grande, et, partant, une remise en question encore plus profonde au plan politique.
Un dialogue sans résultats, un dialogue « parnassien », comme de l’art pour l’art – pour montrer patte blanche à la population, parce que, sur le plan populaire, encore une fois, les gens sont fatigués et pourraient avoir tendance, par rejet populiste, à faire assumer à tout le monde, sans aucune distinction, la même responsabilité de tous les maux qui ravagent le pays –, fera plus de mal que de bien. Si l’opinion publique est révoltée, c’est certes par l’échec consternant des leaders à trouver des solutions aux problèmes politiques – quand bien même le problème est devenu plus que jamais régional et international, et que le sort du Liban est plus que jamais lié, politiquement, à l’avenir de toute la région, et de la Syrie en particulier–, mais c’est aussi et surtout par la duplicité, le mensonge, l’hypocrisie, les engagements contractés puis décriés.
Le flou actuel dans lequel les expériences de dialogue qui se succèdent actuellement sont malheureusement de nature à entretenir ce doute, et donner l’impression que le culte du pactole a le dessus. À considérer que le dialogue soit une nécessité pour décrisper la tension, comment faire pour qu’il ne soit pas stérile et ne se transforme pas en jeu de dupes ? Comment le courant du Futur peut-il croire un instant qu’il existe une possibilité réelle de parvenir à un accord quelconque avec un parti qui a, par trois fois déjà – lors de la conférence du dialogue national en 2005-2006, puis de nouveau après l’accord de Doha, ainsi qu’au moment de l’adhésion à la déclaration de Baabda – rompu ses engagements sans vergogne, même si cela se fait au nom de l’apaisement des tensions sunnito-chiites ? Comment Samir Geagea, dont le parti et ses sympathisants avaient eux-mêmes vu d’un très mauvais œil l’ouverture de Saad Hariri sur Michel Aoun et la crainte d’un deal présidentiel entre les deux, peut-il aujourd’hui s’engager sur la même voie, même si cela est commis au nom du rapprochement interchrétien ? Est-il possible, même dans le but le plus noble, le plus beau, le plus juste qui soit, de dialoguer avec des composantes qui ont prouvé, ô combien de fois, qu’elles n’ont aucun problème vis-à-vis de leur base politique et populaire à se démentir, se dédire, voire à mentir ? À l’heure où certaines rumeurs font état d’une possibilité que le dialogue CPL-FL puisse déboucher sur un accord sur la présidentielle, sans écarter complètement la possibilité que le général Aoun soit viable dans un cas de figure très particulier où il serait adoubé par ses adversaires chrétiens sur base d’une feuille de route bien déterminée, Samir Geagea ne devrait-il pas se souvenir qu’à chaque fois qu’il s’est laissé entraîner sur le terrain de confrontation prédéterminé par son nemesis, il en est ressorti perdant ? Le 14 Mars, via ses partis respectifs, ne sait-il pas qu’il n’a plus d’autre fonction, à l’heure actuelle, que de bloquer les dérives cancérigènes et la mainmise totale du 8 Mars sur le pouvoir, sans quoi il n’est plus rien du tout – d’autant que cela fait longtemps que cette formation, récupérée par les forces traditionnelles de toutes sortes, n’a plus aucune fonction réformatrice et a perdu, dix ans plus tard, son souffle originel ?

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Certes, le dialogue est important, mais pas que pour se redorer le blason au niveau de l’opinion publique, mais pour donner des résultats concrets, loin du verbiage, loin des faux-semblants, sans confusion. Dialoguer est une chose, marchander en est une autre. Nul n’a l’apanage de la République, quel que soit le mandat qu’il détient, pour marchander à ses dépens ou la brader. En politique, l’ami et l’ennemi sont des présupposés incontournables, qui définissent l’identité et la trajectoire de chacun. On ne peut tout simplement pas décider de devenir les meilleurs amis du monde, du jour au lendemain, après des années de lutte qui ont tant coûté au Liban, sans que cela n’obéisse à un code bien particulier, d’autant que la lutte opposait, jusqu’à preuve du contraire, deux visions et deux projets différents de l’État, de la société, et du rôle du Liban dans la région et dans le monde.
À quoi cela sert-il, du côté du courant du Futur, de dialoguer, si le Hezbollah poursuit ses équipées fantastiques partout dans le monde au détriment de tout ce qui le rattache encore à l’entité libanaise – et pourquoi pas aussi au Yémen maintenant, tant qu’on y est. À quoi bon discuter avec le Courant patriotique, pour les Forces libanaises, si le général Aoun est capable, en un tournemain, et avec la souplesse habituelle qui est la sienne et que lui permet son rapport avec ses adeptes, de tout balancer par la suite.
D’ailleurs, le simple fait de dialoguer avec Aoun ne signifie-t-il pas que ce dernier a déjà remporté avec ses alliés, à travers leur blocage de la présidentielle aussi bien à des fins égocentriques que pour les beaux yeux du Hezbollah, sa bataille d’annihilation de la République ?