L’édito
D’un mal on tire parfois un bien, souligne le dicton populaire. La quasi-paralysie dans laquelle se débattent aussi bien le gouvernement que le Parlement depuis la fin du mandat du président Michel Sleiman, en mai 2014, a permis de mettre en évidence une donne constitutionnelle fondamentale à laquelle très peu d’observateurs accordaient un quelconque intérêt, à savoir l’importance du rôle du président de la République dans un pays comme le Liban.
Certes, le blocage politique sur la scène locale, le Hezbollah en assume une grande part de responsabilité, comme l’illustrent les atermoiements auxquels il se livre présentement au sujet de la candidature du général Michel Aoun à la présidence de la République, après l’initiative du leader des Forces libanaises, Samir Geagea. Nul n’est dupe à cet égard : si le Hezbollah était réellement sérieux dans sa volonté de faire élire le leader historique du Courant patriotique libre à la tête de l’État, il n’aurait eu absolument aucun mal à « convaincre » le chef du mouvement Amal et Walid Joumblatt à s’aligner sur son choix, même sans l’aval du courant du Futur. A-t-on oublié à ce sujet que lorsqu’il avait parrainé la formation du gouvernement de Nagib Mikati, en juin 2011, après avoir provoqué la chute manu militari du cabinet de Saad Hariri – en dépit de l’engagement pris à Doha de ne pas se livrer à un tel torpillage –, le Hezbollah ne s’était nullement embarrassé de l’absence de couverture sunnite à la nouvelle équipe ministérielle ?
En faisant aujourd’hui obstruction à l’élection du candidat qu’il affirmait pourtant appuyer sans réserves « par éthique politique », le parti pro-iranien est, en réalité, cohérent avec lui-même. Sa stratégie à peine voilée vise en effet à stimuler et entretenir la déliquescence lente, progressive, mais constante, de l’État, sans pour autant provoquer son effondrement brutal. Et dans ce cadre, c’est à ses propres conditions et à son propre timing – conformément, de surcroît, à la Raison d’État du pouvoir des mollahs de Téhéran – qu’il veut orienter l’élection présidentielle.
C’est précisément à ce niveau qu’apparaît clairement l’importance de la fonction du président de la République. Comme le soulignait un pôle parlementaire dans un cercle privé, si le chef de l’État n’avait pas un rôle prépondérant à jouer, le Hezbollah n’aurait pas bloqué de la sorte l’élection présidentielle et cette échéance n’aurait pas été depuis plus d’un an et demi au centre de toutes les manœuvres politiques et des multiples démarches entreprises par plus d’une chancellerie étrangère. La paralysie des deux pouvoirs exécutif et législatif ainsi que les crises en cascade dont le pays est le théâtre depuis plusieurs mois sont certes dues, dans une large mesure, à la stratégie de sabotage pratiquée par le Hezbollah, mais elles sont aussi le résultat de l’absence du rôle de régulateur et de garant de la Constitution dévolu au chef de l’État.
« La crise actuelle a montré que le système ne fonctionne pas sans président », notait récemment, fort à propos, un membre du gouvernement. Cette constatation a un corollaire : pour que le chef de l’État puisse assumer pleinement sa mission, il est impératif, à l’ombre des réalités libanaises, qu’il ne s’aligne pas sur l’un quelconque des axes régionaux. En clair, il se doit d’insuffler à la République, dans l’esprit de la déclaration de Baabda, une politique de neutralité positive. En toute circonstance et non pas de manière sélective, comme le pratique notre chef de la diplomatie. Dans une perspective historique, c’est dans cette optique que devrait s’inscrire le choix du prochain chef de l’État. D’autant que ce sont, en définitive, les spécificités et la raison d’être du pays du Cèdre qui sont véritablement en jeu dans un contexte régional en pleine mutation.