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Unions furtives, désunions chroniques

 

Élie FAYAD

Uni hier par la tragédie de l’Airbus d’Air Algérie, dans laquelle une vingtaine de Libanais ont trouvé la mort quelque part dans le Sahara, le Liban le sera aussi, d’une certaine manière, demain samedi, lorsque tous les députés de la nation se rendront au siège du Parlement pour clamer d’une seule voix leur refus et leur horreur de ce qui se passe à Mossoul et à Gaza.
C’est à peu près tout. Pour le reste, tout le reste, le Liban est plus divisé que jamais, si l’on fait abstraction du sursis que vient de s’accorder le Conseil des ministres en mettant en œuvre le mécanisme du donnant-donnant entre quelques-unes de ses composantes dans le dossier de l’Université libanaise.
L’incroyable sort réservé par l’État islamique (ex-Daech) aux chrétiens de Mossoul ne pouvait que révulser tous les Libanais, même s’ils restent en désaccord entre eux sur les causes qui ont mené le nord de l’Irak à une telle extrémité. De même, l’ampleur de l’offensive israélienne dans la bande de Gaza et la terrible saignée qu’elle cause dans les rangs des civils palestiniens ne pouvaient ne pas déboucher au Liban sur un consensus politico-humanitaire mettant provisoirement une sourdine aux divergences fondamentales sur le rôle et la politique du Hamas et sur son ancrage renouvelé à l’axe iranien.
Ainsi, il y a à peine quelques jours, avant que le bilan des victimes civiles n’enfle à ce point, le député Marwan Hamadé, pour ne citer que lui, mettait en cause la posture du Hamas et appelait ce dernier à faire son autocritique, sans pour autant justifier le moins du monde l’action d’Israël.
D’autre part, c’est sans doute une très bonne chose pour les députés libanais que de se retrouver au grand complet place de l’Étoile pour dire non à Mossoul et Gaza, mais il convient de signaler qu’ils oublient en chemin Damas, Alep, Homs, Hama, Deraa et Deir ez-Zor.
On est tout de même un peu loin, malgré nos désaccords profonds, de la terrible cassure que l’on observe au niveau régional : il y a deux jours, on pouvait encore voir sur une puissante chaîne satellitaire arabe des bandes-infos du type : « Urgent – Accrochages entre l’armée israélienne et les éléments armés »…
Toujours est-il que sur nombre de dossiers de premier plan, à commencer par l’échéance présidentielle, la culture du blocage continue de prévaloir. Le feuilleton a été marqué dernièrement par les prises de position en flèche du patriarche maronite, Mgr Béchara Raï. Ce dernier a pointé du doigt la question du quorum des deux tiers, constatant qu’elle retient en otage la présidentielle. Mais il n’est pas allé jusqu’à dénoncer ouvertement la supercherie constitutionnelle qui se cache derrière ce quorum arbitrairement fixé.
De son côté, Samir Geagea, qui accuse le général Michel Aoun de bloquer l’élection d’un président, s’est livré à une escalade marquée contre lui. Dans des propos à paraître aujourd’hui dans la revue al-Massira, le chef des Forces libanaises affirme en substance que « rien de bon ne pourra arriver au Liban et aux chrétiens tant que le général Aoun continuera de jouer un rôle sur la scène politique ».
Outre cette interview, M. Geagea doit s’exprimer aujourd’hui en fin d’après-midi lors de l’inauguration officielle, à Maarab, de la maquette de la cellule de prison dans laquelle il a été détenu de 1994 à 2005, à l’occasion de l’anniversaire de sa libération. Son discours coïncidera d’ailleurs avec celui, attendu lui aussi, du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah.
Les états-majors des deux formations ont tenté, à en croire l’agence al-Markaziya, de s’entendre pour décaler les deux discours dans le temps, mais, semble-t-il, sans succès jusqu’ici.
Que dira Hassan Nasrallah ? Se lancera-t-il dans une nouvelle surenchère ou bien se montrera-t-il plus ou moins conciliant ? Il était certes impossible de le prédire hier soir. Mais certaines données font pencher quelque peu la balance du côté de la seconde option. Pour nombre d’observateurs, ce sont les développements en Irak qui impriment leur marque. L’élection du nouveau président irakien, Fouad Maassoum, aura montré, à les en croire, une volonté iranienne d’ouverture et de négociation plutôt que de confrontation. Or, ce fait ne peut qu’avoir des retombées au Liban.
De plus, les propos tenus hier par le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, sur l’absence de dialogue entre le parti chiite et le courant du Futur sont apparus comme étant un appel du pied à l’intention des haririens pour reprendre langue.
La présidentielle deviendra-t-elle jouable pour autant ? On n’en est pas encore là.