L’éditorial
Même pour les démocraties les plus performantes, se doter d’une nouvelle loi électorale n’est pas chose facile ni, par conséquent, chose courante. Il est bien connu par ailleurs que nul système politique, aussi élaboré soit-il, n’est à l’abri des imperfections, telles par exemple une dictature de la majorité numérique ou encore une valse de majorités conjoncturelles et mouvantes au sein du Parlement. Sur ce terrain précis, nous battons, sans la moindre gloire, tous les records de dysfonctionnement. La raison en est tragiquement simple : nous avons jeté au feu le manuel de l’utilisateur et bricolé à mort le jeu des institutions, si bien que le moindre des paradoxes propres aux démocraties revêt ici l’allure d’un canular.
Puisqu’il s’agit d’élections, le plus frappant de ces paradoxes veut que ce soient les élus eux-mêmes qui, en dernier ressort, décident de la manière dont on devient un élu, du type de scrutin retenu, du découpage de ces espaces socio-démographiques que sont les circonscriptions. En général, les députés avalisent ou non un projet de loi préparé par le gouvernement. Là s’arrête cependant toute comparaison, puisque le Liban des institutions, c’est aujourd’hui celui de l’improvisation sans frontières. Du fait de la règle du consensus, abusivement érigée en dogme constitutionnel, tout le monde est présent un peu partout, à l’exécutif comme au législatif. Si bien que le gouvernement n’est plus en réalité qu’un mini-Parlement et qu’il n’existe pratiquement plus de séparation des pouvoirs. Le plus effarant cependant est que ni le gouvernement ni l’Assemblée ne sont véritablement en charge du dossier crucial de la loi électorale. On effleure certes la question en Conseil des ministres, on creuse un peu plus loin même en commission parlementaire, mais c’est ailleurs que se joue l’affaire. Ailleurs, c’est-à-dire hors gouvernement, hors Assemblée, à l’écart de l’opinion publique, par la seule voie des marchandages de chiffonniers entre les divers chefs de parti et de force politique. Pour couronner le tout, l’on assiste à d’abracadabrantes interprétations de la Constitution, que l’on triture dans tous les sens, la pauvre. Après l’hérésie d’un Parlement deux fois autoreconduit, après le torpillage systématique d’une élection présidentielle, c’est maintenant le tour de cette rallonge de session ordinaire que réclame le président de l’Assemblée, au motif qu’elle lui est due pour solde de compte !
Comment s’étonner dès lors que les modes de scrutin les plus farfelus aient pu circuler ces derniers mois ? Les plus récentes moutures prévoient des transferts de sièges (surtout chrétiens) d’une circonscription à l’autre par souci d’homogénéité et de justice. Lame à double tranchant, toutefois, que celle-ci; car si elle paraît effectivement répondre aux textures démographiques (ou plutôt sectaires) en cause, elle peut tout aussi bien conduire à priver de toute représentation authentique les minorités locales aussi cavalièrement larguées. À favoriser le développement de ghettos électoraux. À compléter – en toute légalité, cette fois – l’œuvre inachevée de quinze ans de guerre.